Une île dans une île, on appelle ça la double-insularité. Ça veut dire que c’est doublement loin, parfois doublement inaccessible et qu’il faut faire le double d’effort pour y arriver. Expliquez ça à un continental, et il comprendra que vous habitez sur un satellite de la Lune, plus ou moins. En revanche, ce qu’il y a de bien, avec les “double-îles” c’est qu’une fois qu’on y est, on s’aperçoit qu’on a eu raison de faire le voyage et qu’on y vit très bien, merci.
C’est le cas pour la belle Miquelon et aussi, pour l’Isle Madame, l’île à côté de l’Île du Cap Breton, en Nouvelle-Écosse.
Vous arrivez à Canso, au pont qui relie l’île du Cap Breton au continent, puis …
La plupart du temps vous continuez tout droit. Direction les Margarees, Baddeck ou Louisbourg. Vous allez vers tout ce que vous voyez dans les guides touristiques de la province. Le Cabot Trail, la Forteresse, les immenses forêts etc. La voie royale de l’Île Royale.
Et si vous faisiez un pas de côté, vers le sud-est ? … À Lennox passage, vous emprunteriez un autre pont et vous arriveriez, sur une autre île, l’Isle Madame, en dehors des circuits les plus fréquentés. Une île où on arrive en voiture et non en bateau, mais une île quand même !
Sur la carte touristique du Cap Breton on voit un petit drapeau acadien le long du trait de côte, près de Petit-De-Grat. La légende de la carte dit “Région Acadienne” . Il suffit de lire les noms des lieux pour tout de suite voir que l’Isle Madame n’est pas juste une île reliée à une île mais aussi un îlot de francophonie acadienne dans un océan anglophone.
Doublement intéressante !
Un concentré des paysages de l’Atlantique
Quand je me suis trouvée assise sur la grève à Arichat, au petit matin, les bancs de brume suivaient le vol des mouettes vers l’ouest et découvraient le Cap Auguet.
C’était irréel : jamais je n’avais entendu un tel concert de cris de phoques. Les hululements prenaient tout l’espace sonore de la baie et remplissaient le gris du ciel. À quelques centaines de kilomètres, le Congrès Mondial Acadien qui inondait mon fil Facebook depuis quelques jours, battait son plein. J’entendais l’écho de ses musiques, je percevais l’agitation de ses milliers de drapeaux acadiens, la joie des retrouvailles, la célébration joyeuse de l’Acadie. Tout ça remplissait mon ordinateur à ras bord.
Et moi j’étais là, sur le quai, en train d’écouter les phoques chanter leur salutation au soleil. À ce moment précis, tel Saint-Paul sur la route de Damas, j’ai enfin compris que je n’étais pas attirée par les foules en fête, que je n’aimais pas être où tout le monde est et que j’avais une nette préférence pour tout ce qui se situe à la marge. Ces endroits où les gens ne vont pas beaucoup, là où c’est petit, là où il faut être patient et attentif, c’est mon truc !
Je me suis donc sentie très à mon aise durant ma visite à l’Isle Madame. Je crois que j’étais la seule touriste. J’étais en Acadie, dans une Acadie rurale, loin des projecteurs et du clinquant de la grande fête en train de se dérouler au Nouveau-Brunswick. Ici aussi il y a eu un festival acadien, et il y a bien eu un pic de saison de 6 ou 7 semaines pendant l’été mais en cette deuxième quinzaine d’août, le gros des visiteurs de l’été était déjà passé. Le dernier événement, le Festival Blue Grass venait de s’achever.
Comment vous décrire l’Isle Madame ? … C’est un long village littoral qui ferait tout le tour de l’île.
Comme presque partout dans la région les habitants étaient d’abord des pêcheurs, ils le sont encore, donc, tout naturellement c’est sur les côtes que les premiers arrivants se sont installés. L’île est petite et peu peuplée (4000 âmes environ). Il y a suffisamment d’espace en bord de mer pour que chacun puisse s’y mettre. Il faut imaginer un chapelet de maisons, le long d’une route principale, la 206, qui fait le tour de l’île et qui s’appelle 320 quand elle va vers le Nord, vers D’Escousse et Martinique.
Ça rappelle la Baie Sainte-Marie, avec un autre accent. Mais que ce soit ici à Arichat ou là-bas à Comeauville, les signes distinctifs de l’Acadie sont là :
- les drapeaux acadiens devant les maisons,
- les noms de famille sur les devantures des maisons,
- les symboles de l’Atlantique, dont des phares décoratifs, que l’on voit partout
Ici, l’économie tourne autour de la pêche, de la construction navale, des services et puis, dans le bas du tableau, du tourisme.
Si, lorsque vous voyagez, ce que vous aimez c’est vivre comme les gens du coin et vous fondre dans le décor, alors voici un endroit pour vous.
À Arichat, le chef-lieu, et ailleurs à l’Isle Madame peu de choses sont faites pour les touristes. C’est justement ça qui est bien ! Il faut bien en être conscient avant d’y aller et apprécier, une fois sur place l’aspect “vierge” de l’île et la sensation de vivre comme les locaux et avec eux. Concrètement, ça veut dire s’adapter aux horaires des quelques restaurants, qui ferment très tôt et ne pas s’attendre à une foule d’activités touristiques.
Avec le centre Culturel de la Picasse, la principale attraction destinée aux visiteurs est la Forge Lenoir, déjà en mode “fin de saison” quand j’y suis passée. Certainement très intéressante au moment des initiations à la forge, les jeudis. Mais pour vous dire la vérité ce n’est pas ce que j’ai trouvé de plus enthousiasmant.
Ce qui m’a plu, ce sont deux initiatives privées portées par deux femmes très dynamiques qui ont envie que l’île se mette sur les routes touristiques. C’est remarquable de voir comment, dans une petite communauté, une petite poignée d’individus motivés peut bouger les choses et réussir à faire la différence.
Pebble and Fern, un mode de vie alternatif
La première, par ordre chronologique de ma visite, c’est l’oeuvre d’une femme, Xennie, qui se qualifie elle-même d’esprit libre et franchement, on n’aurait pas l’idée de la contredire !
Pour la rencontrer il faut aller tout au bout de l’île de Petit-de-Grat, à Petite Anse, 11 Allée des Cyprès. Rien que l’adresse est jolie !
Pebbles and ferns est sa création, un jardin potager en terrasse, bio évidemment, où elle cultive de tout, en fonction de son inspiration.
L’endroit est décoré de guirlandes colorées faites au crochet et d’une multitude de petits ouvrages qu’elle confectionne pendant ce qu’elle appelle “les interminables hivers”. Xennie est de Colombie Britannique, alors oui, c’est certain, elle doit trouver longs les hivers de l’Isle Madame !
C’est très LGBTQ+, très peace and love avec une philosophie de la vie qui vous donne envie de quitter ce monde de consommation frénétique pour vous mettre à cultiver des choux et du basilic. Outre le personnage très charismatique, il y a aussi une boutique bien achalandée remplie de condiments et autres miels et confitures produits sur place. Elle reçoit la visite de très nombreux touristes chaque été. Il faut dire que Pebble and Fern est chaudement recommandé par les jeunes filles du bureau d’information touristique et qu’on ne peut pas manquer les enseignes en crochet installées 10 kilomètres à la ronde.
La Goélette à Pépé, arrêt indispensable lors d’une visite à l’Isle Madame
L’autre incontournable de l’Isle Madame, la véritable locomotive de la communauté, c’est Lisa Boudreau et son café/boutique – station service la Goélette à Pépé.
Ici tout le monde vous le dira, il faut aller y prendre un café ou un repas.
Mais une fois sur place vous aurez bien plus que de la nourriture (par ailleurs équitable, bio, et excellente) !
C’est aussi une galerie d’art et d’artisanat et un petit centre d’interprétation de l’histoire locale. Vous verrez une exposition autour des “sobriquets”, les surnoms données aux branches des familles, une pratique très répandue à l’Isle Madame. Pour compléter les explications Lisa a réalisé des panneaux retraçant l’histoire de l’île.
Visiblement jamais à court d’idées, elle travaille sur une gamme de produits dérivés, toujours autour du patrimoine acadien de l’île :
Coté institution, avec son association touristique, elle oeuvre aussi pour obtenir des fonds afin de réaliser des brochures touristiques faisant la promotion de la côte sud du Cap Breton. Parce qu’il faut que l’Isle Madame devienne visible !
Il faut brasser beaucoup d’énergie pour montrer qu’on existe, rien n’est facile.
Soit ! Les Acadiens, à l’image de Jeanne Dugas, l’héroïne de Lisa Boudreau, sont habitués à batailler et à travailler fort. Il faudra mettre les bouchées doubles pour parvenir à intégrer l’Isle Madame dans les circuits touristiques mais c’est la mission que Lisa s’est donnée et je suis confiante : l’Isle Madame est déjà sur la voie du développement touristique.
C’est super beau et rafraîchissant. On a le goût d’y aller et tout de suite. Bravo Patricia pour ce si bel article sur ce merveilleux coin de pays d’Acadie!
Merci Lucie, tu sais ce qu’il te reste à faire : “pousser” jusqu’à l’Isle Madame !
Merci pour cette balade ! J’aime vous lire et rêve de venir passer un bout de vie dans vos îles.
Amitiés
Bonjour Marie-Yannick, je suis bien contente si mon article vous donne envie d’aller vous promener dans cette petite île très méconnue et en dehors des circuits habituels. Pour moi c’est la quintessence de l’Acadie en bord de mer et Les gens y parlent français !
Encore une chouette destination à découvrir grâce à la lecture de “l’heure de l’Est”!
Merci ! à programmer pour 2020 alors ! 😉
Excellent article Patricia. Merci pour cette découverte! Un autre petit racoin de l’Acadie à découvrir.
Merci Réjean, il y a des paysages très inspirants là-bas (aussi) !