Skip to main content

Il m’a fallu un peu plus de deux années d’attente avant de partir à la pêche aux crevettes. J’ai rencontré Daniel et Dominic Gionet, capitaines de père en fils, pour la première fois en décembre 2020 et c’est finalement en août 2022 que l’opportunité s’est présentée.

35 heures de navigation

la côte de la nouvelle ecosse

La côte du Cap-Breton
Crédit photo : Julie D’Amour-Léger

 

Le Dominic Francis, un chalutier de 23 mètres, a quitté le port de Caraquet vers midi par une belle journée du mois d’août en direction de l’océan Atlantique. Après quelques 35 heures de navigation, où notre expédition prenait des airs de croisière en longeant le paysage magnifique du Cap-Breton, nous sommes arrivés au « trou de Louisbourg », une fosse sous-marine de 25 milles marins de diamètre et de 120 à 160 brasses de profondeur, là où abonde la crevette nordique.

Sans perdre un instant, tout le monde s’affaire à relâcher les deux chaluts de 30,5m de large par 122m de long chacun qui seront tirés derrière le bateau pendant 5 heures avant la première levée, prévue pour 2 heures du matin.

Quel déploiement!

C’est la première levée

Dès 1h45, l’équipage est déjà à l’œuvre. Cette première levée des chaluts dans la nuit se déroule sous la lumière éblouissante des projecteurs du bateau.

Du pont supérieur, je vois manœuvrer les hommes d’équipage sous les énormes enrouleurs. Dans le hurlement étourdissant des funes (câbles d’acier), les panneaux d’acier pour maintenir les chaluts ouverts sont tirés et fixés de chaque côté du navire. Viennent ensuite les énormes chaînes, les flotteurs et finalement, le premier chalut qui s’enroulera pendant quelques minutes suivi de près par le deuxième chalut.

pêche aux crevettes

Le chalut dans la nuit

Le cul du premier chalut est hissé au-dessus du parc (un grand bac en acier) et son contenu est libéré en tirant sur le ruban de cul, le cordage qui ferme la poche. Une fois les deux poches vidées, on répartit les crevettes à l’aide de râteaux avant de soulever le bac qui se déverse dans un convoyeur vers le pont couvert, où s’effectue le tri et la mise en sac par coups de 11,4kg.

La mise en sac par coups de 11,4kg

Vers 8 heures le lendemain matin, le rituel recommence. J’assiste cette fois à la levée des chaluts du pont inférieur, au seuil de la salle de tri. Jacques Gionet et Rémi LeBouthillier sont à leur poste de part et d’autre du bateau alors que Kevin Plourde ajuste les chaluts et procède à l’accrochage et au délestage de la poche, en parfait équilibre sur la rambarde arrière. Il m’impressionne vraiment!

Pêche aux crevettes

Kevin Plourde en équilibre sur la rambarde arrière

La levée des deux chaluts dure une quarantaine de minutes mais le travail se poursuit. La mise en sac se fait à un rythme soutenu pendant plus d’une heure et l’entreposage du butin sur la glace, dans la cale, complète l’effort avant la période de repos bien méritée.

pêche aux crevettes

Le chalut traîne derrière le Dominic Francis – Crédit photo : Dominic Gionet

À la troisième levée, vers 14h, on m’invite à m’avancer vers l’arrière du bateau pour mieux voir le chalut qui remonte et la levée de la poche, moment ultime où l’on constate l’abondance de la pêche. Le capitaine Daniel Gionet m’accompagne et veille toujours sur ma sécurité. Vu de cet angle, le spectacle est grandiose.

pêche aux crevettes

Jacques Gionet et Kevin Plourde

Je suis aux premières loges pour voir le chalut qui émerge et qui s’enroule, toujours dans un bruit d’enfer, jusqu’à son apogée, cette poche remplie à pleine capacité que l’on libère de son contenu rouge flamboyant avant de procéder à la levée du deuxième chalut, tout aussi généreux que le premier. C’est époustouflant! Au terme des cinq jours de pêche, après une vingtaine de levées, ce voyage aura récolté 50 000kg de crevettes!

pêche aux crevettes

Le capitaine Dominic Gionet est heureux de la quantité de crevettes.

 

pêche aux crevettes

Rémi LeBouthillier, Kevin Plourde, Daniel Gionet, Jacques Gionet et Dominic Gionet posent fièrement devant 51 sacs de 11,4kg.

Exceptionnellement, lors de cette sortie, les deux capitaines sont à bord. Daniel a rejoint l’équipage pour veiller sur moi, relayer son fils Dominic au poste de pilotage et à la station de contrôle hydraulique, et travailler comme homme de pont pour la première fois depuis 37 ans.

pêche aux crevettes

Jacques Gionet et Rémi LeBouthillier

Je crois qu’il voulait aussi participer à ce projet photographique dont il a apprécié la portée. Il partageait depuis quelques années les sorties de pêche avec son fils, mais la transmission s’est maintenant effectuée pour de bon.

pêche aux crevettes

Daniel et Dominic Gionet, capitaines de père en fils

Dans la trentaine, Dominic est désormais le seul capitaine à bord et il mène le Dominic Francis vers les zones de pêche de la Côte-Nord du Québec, de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. Il embarque avec lui trois ou quatre membres d’équipage, dont son oncle Jacques qui prend aussi sa retraite après 45 ans de pêche, dont quinze au crabe et trente à la crevette. Rémi et Kevin, deux jeunes pêcheurs compétents et travaillants, ont été recrutés il y a quelques années. La pêche aux crevettes est un métier exigeant et difficile, la main-d’œuvre se fait rare aussi dans ce domaine. Pour les crevettiers, pourtant, c’est la plus belle pêche au monde.

Pour une photographe, c’est un formidable privilège d’avoir pu capter la magnificence de cette pêche en compagnie d’un équipage aussi gentil et prévenant. Je les remercie tous du fond du cœur!

Julie D'Amour-Léger

Julie D’Amour-Léger est née à Caraquet, au Nouveau-Brunswick. La photographie a toujours fait partie de sa vie, elle y a consacré ses études et en a fait sa profession, principalement dans le milieu du cinéma et de la télévision. Après avoir vécu vingt-deux ans à Montréal, elle revient vivre en Acadie en 2007. Parallèlement à ses activités professionnelles, Julie D’Amour-Léger poursuit différents projets photographiques en lien avec son environnement immédiat. Récipiendaire de deux bourses en résidence artistique d'ArtsNB (2021 et 2022) et d’une bourse du Ministère du Tourisme, Patrimoine et Culture du Nouveau-Brunswick (2021) pour son projet Le monde des pêches, elle a poursuivi ses résidences artistiques sur différents bateaux de pêches durant ces deux dernières années. Elle veut ainsi rendre hommage aux travailleurs de la mer et témoigner de ce qui fait battre le cœur des régions maritimes. L’Heure de l’Est vous invite à suivre Julie dans cette aventure fascinante et à découvrir Le monde des pêches à travers son regard.

One Comment

  • Eda Roussel dit :

    Bravo Madame D’Amour-Légère de mettre en valeur la pêche à la crevette. Une pêche pratiquait par des gars de chez nous des pêcheurs acadiens. La crevette, ce petit crustacé qui mérite d’être mieux connue.

Publier un commentaire