On vous a déjà emmené en pique-nique au phare de Ferryland. Aujourd’hui, suivez-nous dans le village lui-même, lieu tout à fait unique de l’histoire mouvementée (et disons-le, sanglante,) de notre région ravagée pendant des siècles par d’incessantes querelles entre la France et l’Angleterre.
À Ferryland, Terre-Neuve, ce sont les Français (oui, vous avez bien lu!) qui mirent à feu et à sang la colonie anglaise au XVIIème siècle. S’il n’y a pas de quoi s’en réjouir, disons que cette particularité du lieu mérite mention.
Forillon, Férrillon, Farilham et, aujourd’hui, Ferryland
On a du mal en arrivant de nos jours dans le minuscule village de Ferryland à imaginer l’histoire du lieu, encore moins de comprendre comment le site a pu être l’objet de tant de convoitise.
Situé sur la péninsule d’Avalon, à 75 kilomètres environ de Saint-Jean, Ferryland est un petit village de pêche comme tant d’autres avec des installation portuaires on ne peut plus modestes. Et pourtant!
Quelle Histoire!
D’abord occupé par les Béothuks, l’endroit devient le site de la seconde colonie anglaise dans la province lorsque Georges Calvert, bientôt Lord Baltimore, en prend possession en 1621. (La toute première colonie est celle de Cupers Cove, aujourd’hui Cupids , fondée 11 ans plutôt par John Guy.)
Pour replacer tout cela dans un contexte plus large, précisons qu’en 1621 les premiers colons viennent tout juste de débarquer à Portsmouth dans ce qui deviendra beaucoup plus tard les États-Unis d’Amérique. Port-Royal a à peine 6 ans d’existence et les Anglais ne sont pas encore installés à demeure en Nouvelle-Écosse.
En 1637, Ferryland passe aux mains de Sir David Kirke qui s’y installe, avec sa famille, et agrandit considérablement la petite colonie.
Comme la petite histoire ne manque jamais de surprendre, on dit qu’après la mort de David Kirke, en 1654, sa veuve Lady Sarah Kirke continua d’administrer les affaires de la famille. Cela ferait donc d’elle “la première femme d’affaires de l’Amérique du Nord britannique“.
Une histoire bien cachée
Les historiens savaient depuis longtemps que Ferryland était un site historique très riche et certains y avaient même effectué quelques fouilles , mais faute de ressources, le site restait inexploré.
L’un des premiers a se pencher sur Ferryland a été le tout premier archéologue de l’université Memorial, un américain du nom de James Tuck, qui y mena des travaux exploratoires dans les années 1980.
(En passant, c’est en partie grâce à lui que la faculté d’archéologie de Memorial s’est taillée une grande réputation à travers le monde et qu’elle a attiré de nombreux spécialistes comme Catherine Losier que nous vous avons présentée au tout début de l’Heure de l’Est.)
Une épreuve et une opportunité
La vie réserve parfois des surprises de taille. Ainsi, en 1992, la province de Terre-Neuve-et-Labrador assiste impuissante à la fermeture complète de la pêche au poisson de fond, principalement la morue, ressource majeure et, ironiquement, moteur historique du développement de la province.
Des villages de pêche comme Ferryland, se retrouvent du jour au lendemain privés de toute activité. Les petits bateaux restent amarrés au quai, plus personne ne prend la mer. Une crise sans précédent s’étend sur la province.
Ottawa débloque des fonds considérables pour relancer, au plus vite, l’activité. On finance alors toutes sortes d’initiatives, des plus sérieuses au plus farfelues.
James Tuck, lui, a un plan pour Ferryland: lancer un vaste projet de fouilles au sein duquel les gens du lieu travailleront. Aujourd’hui, on appelle ça de l’archéologie communautaire ou encore publique.
C’est normal que les gens de Ferryland travaillent aux fouilles, répétait James Tuck, après tout c’est leur histoire
De la pêche à l’archéologie
Le projet débute aussitôt après le moratoire sur la pêche et prend très rapidement une grande ampleur. Profitant du financement conséquent du gouvernement fédéral, la faculté d’archéologie de Memorial, sous la direction de James Tuck, se met au travail.
Aux côtés d’archéologues chevronnés et de leurs étudiants, on initie alors, sur le terrain, des dizaines de locaux au maniement de la truelle, de la brosse et du tamis. Dans le laboratoire on forme au nettoyage des artéfacts, à leur classement, etc…
Un succès spectaculaire
Le succès est impressionnant: au fil des étés consacrés aux fouilles, c’est une colonie importante qui refait surface. Rues pavées (voir photo ci-dessous), grandes écuries, forge, latrines, quais en pierre, attestent d’un passé beaucoup plus impressionnant que le village actuel.
On retrouve aussi les restes calcinés de demeures qui attestent de la violence du raid sur Forillon mené par le gouverneur de Plaisance, Jacques-François de Brouillan, en 1696. Attaquée par la mer, la petite colonie ne peut pas résister.
Les soldats français sont plus de 700. Une fois à terre ils pillent, brûlent et tous ceux et celles qui n’arrivent pas à fuir sont faits prisonniers et leurs bien sont “confisqués”.
La plupart des résidents sont envoyés à Appledore dans le West Country en Angleterre. Les trois frères Kirke, par contre, sont amenés à Plaisance où ils sont sans doute gardés pour rançon. Deux des trois frères meurent, tandis que l’autre meurt à St. John’s le même hiver.
Ferryland est un site préservé et valorisé
À Ferryland on ne reconstruit rien à l’identique mais tout est mis à jour: les fondations, le sol des écuries, les quais, les cheminées.
Avec l’aide des aînés du village, James Tuck se met à la recherche de l’emplacement exact du puits de la petite colonie et le retrouve, intact, exactement là où on lui avait dit de creuser.
La Colonie d’Avalon
Petit à petit, la réticence des locaux s’estompe et les fouilles s’étendent aux terrains voisins, les familles acceptant qu’on creuse dans leur jardin, sous leur pelouse et même, après le décès de certains anciens, sous les maisons.
Très vite le laboratoire de fortune ne suffit plus, les touristes demandent à voir le travail qu’on y effectue et les fouilles révèlent tant d’artéfacts, qu’il faut voir encore plus grand.
On crée alors The Colony of Avalon et on construit un centre d’interprétation qui abrite aussi le laboratoire.
Pour sa part James Tuck, homme à tout faire, décide de récréer des jardins, trois pour être exact. Le potager et le jardin anglais ci-dessous et un jardin de plantes médicinales. Dans un bâtiment moderne hors du site des fouilles, il recrée une cuisine d’époque avec son énorme foyer et réalise lui-même les meubles qu’on y trouve.
Un legs inestimable
Aujourd’hui plus de 30 ans après le moratoire sur la pêche, Ferryland vit en grande partie du tourisme. Au site de fouilles et au centre d’interprétation, se sont ajoutés une boutique, un café-théâtre et le service de pique-nique au phare qui font de l’endroit un lieu touristique et patrimonial incontournable au même titre que Cap Spear ou le site viking de l’Anse aux Meadows.
James Tuck nous a quitté en 2019 mais sa vision est partout. J’aime penser qu’il demeure immensément fier de ce que le village et ses gens ont accompli. Pour ma part, je suis heureuse de l’avoir connu et d’avoir partagé son enthousiasme pour cet endroit émouvant, historiquement et humainement.
Aparté au sujet de la dernière partie de la présente Infolettre, où il est question de La Biennale de Bonavista.
J’ai testé la revue Beaux-Arts Magazine. Pour moi c’est parfait. Ce d’autant plus que lorsqu’on interroge Internet au sujet de La Biennale de Bonavista, les sites sont en anglais. Idem pour le site personnel d’Anastasia TILLER, anglais Svp. Et quand on veut en savoir plus sur cette artiste, les sites sont pour la plupart en anglais. Vous avez-dit francophonie ?
Pour Instagram, je n’ai pas de compte avec les réseaux sociaux. Donc privé d’informations. Est-ce que l’Heure de l’Est pourrait nous faire un petit condensé des articles proposés par Anastasia TILLER, sur Instagram ?
Précision : j’habite en France et je ne parle pas anglais.
Bonjour Gilles et merci pour votre commentaire. Qu’on le veuille ou non, notre région est à majorité anglophone, et il arrive, assez souvent d’ailleurs que “côté anglais” on fasse des choses très bien. L’art n’ayant ni langue ni frontière nous pensons que la Biennale de Bonavista. Nous avons choisi Anastasia Tiller une des artistes qui exposent à la Biennale car elle est parfaitement bilingue et très impliquée dans la communauté francophone de Terre-Neuve et Labrador. Elle a également participé à différents événements culturels en France. Les publications d’Anastasia sur Facebook et sur Instagram sont en français. Françoise va se rendre elle aussi sur place quelques jours et va nous revenir vers ses impressions. Quant à présenter Anastasia Tiller dans l’Heure de l’Est, c’est une excellente idée !
C’est super 😁. J’y suis allée il y a plus de 20 ans mais quel bonheur de pouvoir le revisiter avec les yeux et l’écriture formidable de mon amie Françoise. Comme une promenade dans cette page d’histoire exceptionnelle où beaucoup de choses ont commencé pour l’Amérique du Nord. Ah! Terre-Neuve recèle de tellement de trésors à nous révéler, merci à Françoise, merci l’Heure de l’Est pour nous faire découvrir cette endroit d’exception.