En hiver à Saint-Pierre et Miquelon, un jour de tempête ça commence toujours de la même manière : “Une profonde dépression affecte actuellement nos eaux. Vigilances en cours. Orange pour vents violents. Jaune pour neige. » David, de Météo-France confirme dans le bulletin du matin ce qu’on pressentait depuis quelques jours. Cette fois, ce n’est pas une demie ! On ne sera pas déçu. On la voyait venir sur nous depuis 2 jours : la première vraie grosse tempête de l’hiver. Sur Windy, elle est belle comme un tableau impressionniste avec l’intensité de ses couleurs proportionnelle à la réalité du terrain. On est dans du gros mauvais temps, c’est janvier. C’est l’hiver à Saint-Pierre et Miquelon.
Vous vous souvenez de notre premier conseil pour vivre heureux en hiver ? Il faut choisir ses batailles.
Aujourd’hui la seule attitude qui vaille c’est de faire le dos rond et de transformer des conditions très hostiles en confort et moments de bien-être dans la maison. Les Saint-Pierrais et Miquelonnais et les habitants de la Péninsule d’Avalon à Terre-Neuve, affectés par la même tempête, vont y consacrer leur journée.
Ni ciel ni terre
Un point météo par la fenêtre : c’est blanc dehors. “Ni ciel ni terre » l’expression hivernale se passe d’explication. Chez Météo France on appelle ça une “visibilité quasi-nulle ». Allez donc voir les webcams de la Place du Général de Gaulle à Saint-Pierre et de la Place des Ardilliers à Miquelon. C’est blanc, c’est tout, partout. C’est assez excitant. On n’a jamais autant aimé notre maison et la chaleur de notre salon que dans des journées comme celle-ci.
C’est blanc et ça souffle en “violente tempête” puisqu’on considère le vent moyen. Un moyenne de 53 nœuds agrémentée de rafales de 75 nœuds annoncées, surement un peu plus par endroits. Exceptionnel il y a une dizaine d’années ces conditions-là sont maintenant presque banales. Lisez plus bas le commentaire de Stéphanie qui explique le classement de l’intensité du vent.
Précisons que le fait de décrire le vent en nœuds est une spécificité de Saint-Pierre et Miquelon et on y tient beaucoup (n’est-ce pas, Gaëlle ?). En France, tout là-bas, ils parlent en kilomètres/heure mais nous ici, on veut garder nos nœuds. C’est la seule échelle que l’on connaisse et qui nous parle vraiment. Moi, par exemple je peux vous dire que quand le vent me pousse, c’est qu’il fait 50 nœuds !
Et cette tempête aujourd’hui a atteint les 80 nœuds, soit près de 150 km/h.
– Et avec ça, de la neige ?
– Oui, s’il vous plait, quelques dizaines de centimètres feront l’affaire.
Cette fois, ça sera une vingtaine pour Saint-Pierre et Miquelon. Pour Terre-Neuve, c’est 70 centimètres qui sont annoncés ! Des conditions qui justifient l’état d’urgence décrété à la mi-journée par la municipalité de Saint-Jean.
On appelle ça du poudrin : de la neige qui tombe avec des forts vents et des flocons
qui ont plutôt un déplacement latéral et rapide
qu’un doux mouvement de haut en bas
si vous voyez ce que je veux dire … ça pique et ça aveugle.
C’est un écran blanc partout autour de nous.
On ferme !
Hier, il flottait déjà une petite effervescence dans l’air frais d’un anticyclone parfait. Une fébrilité d’avant la tempête une magnifique journée d’hiver à Saint-Pierre et Miquelon. Dans les magasins, au travail, à table au repas de midi, le sujet de conversation principal tournait autour
- de la fermeture probable des écoles,
- de la fermeture des services publics,
- de la fermeture des épiceries,
- de l’arrêt des services d’Air Saint-Pierre et des traversiers vers Miquelon et Fortune.
En fin de journée la confirmation espérée est tombée dans un communiqué préfectoral : Les ECOLES fermeront toute la journée.
La fermeture des écoles plus fréquentes aujourd’hui que dans les années 80, est un moment de liesse collective pour les enfants. Un petit rab de congé qui tombe du ciel, littéralement et qui vous sauve in extremis d’une évaluation de maths mal révisée, qui vous garde au chaud dans le lit alors que vous devriez être en E-P-S occupé à domestiquer un volant de Badmington… Jouissif ! C’est encore mieux quand la tempête a le bon goût d’arriver un vendredi.
Cette annonce officielle est un double coup d’envoi :
- un chapelet d’annonces lui emboîte le pas, toutes identiques. « On ferme ! »
- un besoin instinctif de ravitaillement s’en suit dans la foulée
L’hiver à Saint-Pierre et Miquelon : qu’est-ce qu’on mange les jours de tempête ?
Prises d’assaut, les épiceries sont très fréquentées pour un jeudi soir. N’espérez pas trouver du pain. Les comptoirs de viandes et de légumes sont dévastés. Dans ces cas-là, il faut plutôt penser à prendre du sucre, de la farine, du beurre et des œufs !
Une journée de tempête c’est le meilleur moment possible pour cuisiner, pour mitonner, pour mijoter et remplir la maison de bonnes odeurs.
C’est un temps à pot-au-feu, n’est-ce pas ? Allons-y ! Il aura trois heures de cuisson le matin et ce soir il fera une excellente soupe avec une poignée de vermicelles.
Entre les deux, j’hésite entre pommes et chocolat, pour le gâteau de la collation… À moins que je fasse une brioche ? Je me délecte d’avance de l’observation de la pousse de la pâte, posée près de la cheminée, qui va lever tranquillement et qui pourrait nous faire un petit déjeuner du tonnerre demain matin ?…
À chaque région, ses habitudes. Sur la Péninsule d’Avalon, traditionnellement les pelles à neige, les packs de bières et les chips sont parmi les premiers articles à manquer chez les dépanneurs. Peut-être l’effet Effort-Réconfort ? Il semble qu’on a tous nos façons de prendre ça du bon côté !
Une ambiance particulière
Alors ce matin, la maison était très calme pour un jour de semaine. La cuisine silencieuse et sombre : les fenêtres sont toutes colmatées par la neige collante qui les recouvre intégralement. Des bougies, de l’eau pour le thé et dans quelques minutes le feu brûlera dans la cheminée. Un peu de lecture sous les bourrasques qui secouent les fenêtres. On nous dit de ne pas sortir de la maison. J’obéis aux instructions préfectorales avec joie. Non, non, ne vous en faites pas, je ne sortirai pas.
Si on est serein à Saint-Pierre, on ne l’est pas autant à Miquelon. Les vents forts, orientés nordet comme ce matin, sont devenus un véritable danger pour le village à fleur d’eau. Beaucoup de miquelonnais, ceux dont les maisons sur les plus exposées, ne sont plus tranquilles pendant ces jours de tempête. On croise les doigts pour qu’ils passent à travers sans encombres !
En hiver à Saint-Pierre etMiquelon, contrairement à notre voisin canadien, la menace d’une coupure d’électricité ne plane pas au dessus de nos têtes. Nos lignes électriques sont enterrées, donc les intempéries n’ont pas d’impact sur le service. C’est loin d’être le cas à Terre-Neuve, toujours soumis aux intempéries et aux chutes d’arbres sur leurs lignes électriques aériennes. À Saint-Pierre, on doit seulement faire attention à ne pas tomber en panne de fuel domestique, beaucoup de maisons sont chauffées ainsi. Nos maisons conçues pour le mauvais temps et bien isolées résistent très bien aux tempêtes. Globalement, on n’a qu’à rester tranquillement bien au chaud, à apprécier d’entendre les rafales tonner au dessus de nos têtes et attendre que ça se passe.
Depuis Saint-Jean, Françoise fait le point :
État d’urgence et de prudence à Saint-Jean
Du côté de la capitale terre-neuvienne, nul doute qu’une “journée de neige”, de congé forcé si vous préférez, ça a son charme aussi : feu de cheminée, lasagne au four et un casse-tête de Noël à terminer, par exemple! Mais dans une ville de la taille de Saint-Jean de Terre-Neuve (150 000 habitants environ), une journée sympathique de farniente, bien au chaud à la maison, avec un verre de vin ou un coup de thé, peut se transformer en cauchemar lorsque les vents violents ou la glace ont raison des lignes de transmission (ici rien n’est sous terrain).
Lorsque l’électricité manque, et sans déneigement des rues et voies secondaires, il faut être prêt à tenir le coup sans aide extérieure : de l’eau, de quoi manger, de quoi se chauffer si possible ou au moins se garder au chaud sous les couvertures… C’est d’ailleurs pour ça qu’ici le feu est allumé et la lasagne prête à réchauffer (sur la braise si nécessaire!).
Depuis hier, les autorités demandent aux gens de s’assurer que leurs voisins, les personnes âgées ou seules de leur entourage ont ce qu’il faut pour être confortables et en sécurité. Une tempête c’est aussi un risque accru d’incendie et d’intoxication au monoxyde de carbone lorsque, poussé par le désir légitime de se réchauffer, on a recours à des méthodes hautement risquées, comme d’allumer un réchaud à gaz de camping dans sa cuisine ou de faire un feu d’enfer dans une trop petite cheminée.
Et que dire des urgences? Accidents de la route, naissances imprévues, crises cardiaques ou autres qui nécessitent une ambulance? Dans ces cas, l’ambulance sera précédée d’un chasse-neige.
Cette fois-ci, la tempête prévue est si importante et son parcours si certain que les autorités n’ont pas attendu son arrivée pour annoncer les annulations : fermetures de toutes les écoles de la région, de l’université, des collèges, des centres d’achat, du service d’autobus sont annoncées depuis la veille. Les compagnies aériennes ont essayé de transporter le maximum de passager la veille de la tempête, ajoutant même des vols avant que l’aéroport ne ferme.
Les chasse-neige (les « charrues » comme on dit au Canada Français) travaillent encore pour dégager les axes principaux mais si la ville s’aperçoit qu’elle ne peut plus faire face, elle a un dernier recours : déclarer l’état d’urgence, interdisant ainsi toute circulation hormis aux engins de déneigement et pour les urgences.
À 11h ce matin– quatre heures à peine après l’arrivée de la tempête, c’était chose faite!
Un dernier petit détail
Allons, gardons le moral! Les paris sont ouverts sur le nombre de naissance à prévoir dans 9 mois. Si, si… À chaque grosse tempête, il y a ceux et celles qui se font une note dans leur calendrier. Il paraît que l’effet-couette et la nécessité de se garder au chaud ont une influence directe sur les taux de natalité. Avec l’hiver qu’on a cette année, la population de Terre-Neuve-et-Labrador pourrait augmenter considérablement.
Patricia et Françoise , bien intéressantes vos observations sur les défis de la neige en quantité industrielle .
Pour le moment , après du froid glacial , notre ‘ p’tit pied ‘, 25 cm , de neige s’est accumulé bien gentiment , sans vent .
On est prët pour d’autre à Dieppe …..
Bonjour Patricia.
Merci de cette description très vivante de vos hivers . J’ai adoré celle de la chaleur de vos intérieurs.
Pour moi qui ne vois presque jamais la neige dans ma Bretagne natale , imaginer de telles précipitations est très impressionnant.
Le vent par contre, nous connaissons
Bonjour Patricia.
Merci de cette description très vivante de vos hivers . J’ai adoré celle de la chaleur de vos intérieurs.
Pour moi qui ne vois presque jamais la neige dans ma Bretagne natale , imaginer de telles précipitations est très impressionnant.
Le vent par contre, nous connaissons
Que c’est bien vécu et raconté.
Bonjour Patricia, merci pour cet article. Effectivement, dehors c’est tout blanc, ça va être tout joli pour se balader ce week-end ! Je me permets un petit correctif : oui, ça souffle, mais on est en TEMPETE sur l’échelle de Beaufort, on n’atteint pas encore l’ouragan ici, c’est plus pour les Antilles… L’échelle de Beaufort est en vent moyen (le vent relevé, mais moyenné sur 10 min). Là il a soufflé à 53 kts, de ce que j’ai pu voir. On n’est plus très loin de la violente tempête quand même…
Bonne fin de journée, je sens presque l’odeur de ta brioche d’ici 😉
Stéphanie
Si je ne m’abuse tu es très spécialiste de la question et je te remercie pour cette correction ! On a toujours tendance à prendre le chiffre le plus fort 🙂 Je vais rectifier mais comme tu dis, même si ça s’appelle violente tempête et pas ouragan, ça “envoie du lourd” 😉
J’ai aimé cette description d’une journée de tempête chez-vous. Pas très différentes de celles que nous vivons ici à Bathurst ou encore à Caraquet. J’y ai perçu la chaleur qui se dégage de la proximité des gens lors de ces journées. Je vous souhaite une journée, bas de laine, odeurs du pain frais et bonne compagnie. Merci pour ce récit.
Oui mais je crois que vous êtes assez imbattables sur les quantités de neige !