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L’été à Saint-Pierre et Miquelon tire à sa fin, toujours plus tôt qu’ailleurs. Ici les saisons font ce qu’elles veulent, au mépris des équinoxes. Un été bizarre, un été de pandémie et de restrictions qui a contraint les habitants de Saint-Pierre et Miquelon à rester, en grande majorité, dans l’archipel. A la fois conscients de leur isolement protecteur et de la disparition de leur liberté de mouvement.

Au printemps on a été nombreux à voir tomber comme un couperet la décision canadienne de fermeture des frontières du pays. Comme une lame sur le cou de notre liberté de mouvement. Ensuite, au mois de juin, de nos yeux embués et encore incrédules on a regardé la bulle atlantique prendre forme devant nous. Une paroi de verre entre nous et la côte Sud de Terre-Neuve se dresse depuis lors.

Au nord-est de Saint-Pierre, dans les « montagnes ». Terre-Neuve si proche. Crédit photo HDE

Nous sommes restés à la porte de la bulle. Cloués sur nos têtes d’épingle.

C’est comme ça … comme toujours, choisir ses batailles.

Alors nous autres, habitants de Saint-Pierre et Miquelon nous n’avons eu d’autres choix que de faire ce que nous faisons déjà mieux que quiconque : apprécier notre territoire et jouir de toutes les beautés qu’il nous offre.

Je réfléchissais à cet article résumant cet été à Saint-Pierre et Miquelon quand je suis tombée sur un ouvrage de Françoise Héritier, le Sel de la Vie, toujours à portée de main sur mon bureau. Enfin, …sous une pile d’autres livres. Un ouvrage constitué d’une énumération de petits riens qui rendent la vie belle et légère, ce qu’elle appelle Le Sel de la Vie.

C’est bien ce que nous avons fait ces derniers mois, confinés, encore, sur notre archipel, presque prisonniers. Il faut du caractère et être capables maintenir très haute notre capacité émerveillement pour ne pas devenir neurasthéniques. On est fort, on y arrive bien. Soyons fiers des ressources intérieures que nous mettons tous en œuvre collectivement, nous hissons haut notre blason d’insulaires. De « petits insulaires » même, habitants à l’année des îles minuscules.

La Cormorandière, dans le Cap de Miquelon
Crédit photo HDE

Alors, voilà, pour moi, le sel de Saint-Pierre et Miquelon.

L’été à Saint-Pierre et Miquelon – en vrac et en images, sans chronologie.

Poser pour la première fois de l’année le pied à l’île aux marins et oublier tout le reste.

Découvrir que cette année la plage du Diamant a du sable.

Nager avec un phoque curieux. Ne pas se sentir complètement rassuré.

Localiser les fleurs de plate-bières et les niches prometteuses. Oublier d’y retourner.

Apprécier démesurément la première journée à plus de 20 degrés. Ne pas en revenir. Comprendre que ça fait le même effet à tout le monde.

Ne pas répondre à ceux qui disent qu’ils ont trop chaud. Juste sourire poliment. Se dire que ça ne va pas durer, cette chaleur.

Partir en bateau avec les copains et découvrir Savoyard depuis la mer. Réaliser que c’est une première.

Repérer une petite mini-plage entre l’Anse à Pierre et Les Cailloux Rouges. oublier d’y retourner (aussi).

Grimper au Trépied sans passer par les sentiers. Ne pas regarder en bas.

Faire courir un lièvre arctique. Le regarder se croire invisible sur un rocher. Lui en vouloir de manger autant de bleuets.

Rentrer à la maison avec son pot vide. Oublier ses fantasmes de jus de bleuets.

Attendre les graines.

Croire qu’on pourra faire un barbecue. Choisir une mauvaise journée. Manger dedans, mais cuire dehors.

Longer les côtes en plate et s’émerveiller de la transparence de l’eau. Se convaincre qu’il n’y a qu’ici qu’elle est aussi claire.

Faire la même chose en trainière basque. Sentir l’embarcation avancer à chaque coup de rame. Apprécier l’union et dire Milesker !

Prendre conscience de la mesure du temps et rêver au pied d’un bloc erratique. Penser aux glaciers. Fondus. Se dire qu’on ne fait que passer.

Manger dehors, à l’abri, en terrasse et se dire qu’on est bien. Qu’on ne pourrait pas être mieux ailleurs.

Arriver à l’anse du Gouvernement en voilier et voir un corps-mort disponible. Accrocher au premier coup de gaffe le filin entre deux eaux.

Se lever aux aurores et nager autour du bateau. Assister au repas des sternes arctiques. Et s’éloigner en brasse.

Prendre le temps de lire.

Ne pas écouter les infos. Se sentir loin de tout.

Se réveiller au son des mésanges. Se croire dans un sous-bois à Langlade. Se rendormir encore quelques minutes.

Les clochettes

Étaler de la confiture de plate-bière en couche très épaisse. Faire craquer les pépins sous les dents.

Aller chercher une crème molle le soir après souper. Choisir une moyenne parce qu’une grande, c’est vraiment trop !

Refuser des homards tout juste sortis de l’eau. Par paresse.

Chanter des chansons de Bob Dylan. Se souvenir des paroles.

Découvrir qu’il y a beaucoup de kiris cette année à Saint-Pierre, et moins au Grand Barachois.

Regarder le soleil se coucher sur Savoyard en écoutant Stan Getz. Apprécier le pur malt.

Attendre l’automne et « sa robe de safran ».

 

 

 

Patricia Detcheverry

Après 10 ans en régie publicitaire, je me suis lancée dans l'hôtellerie et j'ai vécu (encore) 10 ans au rythme des saisons touristiques. Freelance depuis 2017 j'allie mon regard de femme de l'Atlantique et mes compétences en communication pour faire connaitre ma région. Ce que j'aime par dessus tout ? Faire découvrir les petits endroits paumés où personne ne va, les petites routes ignorées, les bouts du monde et les gens, toujours les gens !

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