À Saint-Pierre et Miquelon le musée de l’Arche vient de lancer une exposition consacrée à Joseph Lemoine (1830-1886), un peintre, enfin, LE peintre local du 19ème siècle. Mal connu il est pourtant un témoin précieux de son époque grâce à une série de tableaux paysagers. Joseph Lemoine mérite bien toute l’attention qu’on lui porte aujourd’hui.
Une exposition hors-normes à Saint-Pierre et Miquelon
Cette exposition ambitieuse fera date dans le cheminement vers une meilleure connaissance du patrimoine artistique de Saint-Pierre et Miquelon. Ce n’était pas par hasard si son lancement coïncidait avec un nouveau déplacement d’experts de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (la DRAC) de Bretagne, qui compte l’archipel dans son “portefeuille”. Depuis une dizaine d’années les passages de ses agents sur l’archipel sont fréquents. Le Musee de l’Arche, au service de notre histoire depuis 1999, a passé deux décennies à “défricher le terrain” et ces effort paient ! Jamais l’histoire et le patrimoine de Saint-Pierre et Miquelon n’ont vu autant de spécialistes d’ici et d’ailleurs se pencher sur eux ! Et c’est tant mieux.
Allez aussi lire nos articles sur les fouilles archéologiques de l’Anse à Bertrand et sur les fouilles archéologiques de l’Anse à Henry
Une des retombées de cet intérêt pour l’histoire de l’archipel est donc cette belle présentation des œuvres de Joseph Lemoine. Elle nous invite à un pas de côté, salutaire et raffiné. Elle vient aussi célébrer avec beaucoup de pertinence les 20 ans du Musée de l’Arche. J’avais beaucoup d’attente en m’y rendant, je n’ai pas été déçue.
Certes, j’y allais avec un a priori favorable. En début de semaine je m’étais offert une petite sortie pour assister à la soirée lyrique organisée pour le lancement de cette exposition hors-normes pour l’archipel. La soirée était charmante, la chanteuse et le récitant tous les deux excellents. Les toiles, plongées dans l’ombre à cette heure tardive, méritaient une visite en journée. Je suis revenue pour les examiner à la lueur du même soleil qui mettait ce joli bleu pervenche dans les ciels de Lemoine.
Trente toiles de Joseph Lemoine
Pour ceux qui connaissent le Musée de l’Arche, attendez-vous à un changement radical de la salle que vous connaissez. Certes, il s’agit toujours de cette immense pièce sans plafond pourtant les cloisons installées et les voiles aux fenêtres parviennent à recréer la lumière douce et intimiste des toiles de Lemoine. Pour un tel résultat dans cette salle là, il fallait se lever de bonne heure !
À l’entrée de l’exposition, face à la cloison bleu canard portant une signature de l’artiste étalée sur 2 mètres de large on s’aperçoit d’emblée qu’une ambition particulière a été placée dans cette rétrospective. C’est très “Louvre-esque” et c’est très beau. Un premier espace vous invite à visionner un cours reportage pour en apprendre plus sur cet homme… dont on sait bien peu de choses. Le film d’une quinzaine de minutes cerne le contexte historique et plante le décor que les toiles illustrent.
Joseph Lemoine est né en 1830, 24 ans après le retour des habitants en 1816 suite à la rétrocession définitive de Saint-Pierre et Miquelon à la France. Saint-Pierre est alors un village de 1200 habitants.
On sait peu de choses sur la scolarité du futur peintre ; on l’imagine sans histoire. Sourd et muet à l’âge adulte, on suppose que Joseph Lemoine ne l’était pas de naissance, les archives ne révélant aucun indice quant à un handicap dont il aurait pu être porteur alors qu’il était en classe chez Les frères de Ploërmel.
On a longtemps raconté que Joseph Lemoine était un pauvre (pêcheur ?) qui peignait pour survivre. Ou quelque chose comme ça, l’histoire variant peut-être au fil du temps. Mythe!
Des paysages habités
Joseph Lemoine a grandi dans une famille aisée, son père, un normand établi dans l’archipel, était greffier au tribunal de Saint-Pierre. Il a probablement été davantage en contact avec la petite bourgeoisie locale qu’avec la classe ouvrière de l’île.
Il faut dire que Joseph Lemoine est contemporain de la grande époque de la pêche. Un essor économique qui va de pair avec l’apparition d’une classe sociale aisée, se développant à mesure que Saint-Pierre grandit. Les armateurs et leur famille et les “haut-fonctionnaires” tous venus de métropole ont vraisemblablement été l’environnement habituel du peintre.
Témoin de cette évolution sociale, Joseph Lemoine la représente dans ses toiles. Sa peinture se fait l’écho de ces changements dans la population saint-pierraise : en observant attentivement certaines toiles, par exemple La Route de Gueydon (vers 1870), vous verrez une charrette à chien menée par un pêcheur croiser une calèche tirée par un cheval transportant un couple en habit. Ces instantanés qui livrent une chronique de son temps sont l’un des grands intérêts de son œuvre. On la qualifie même de “mine de renseignements” sur la société Saint-Pierraise de la seconde moitié du 19ème. Outre les indices sociaux, ses toiles nous en disent long sur la topographie, l’urbanisme et l’architecture de l’île.
Si l’on regarde Panorama de la ville de Saint-Pierre et de la rade (1873) on reconnait tout de suite l’endroit : le port et la colline de Galantry servent facilement de repères.
Rapporteur fidèle, ses toiles permettent à l’observateur d’aujourd’hui de peupler le paysage qu’il connait avec des éléments d’il y a 2 siècles :
- les nombreuses goélettes dans la rade,
- l’île aux Marins et son chapelet de maisons (600 habitants sur l’île à cette époque),
- le hameau de l’Anse à Bertrand,
- et divers bâtiments de Saint-Pierre qui existent toujours aujourd’hui.
Il ne manque pas d’y ajouter des personnages : on croit reconnaître une femme en tenue bretonne ici, un pêcheur basque par là. Et une élégance bourgeoise, chez ce trio où les hauts-de-forme et la canne des messieurs les situent de facto parmi les nantis la population.
Artiste naïf, avant le Douanier Rousseau, il affectionne les détails peints avec minutie sur des paysages faits d’aplats de couleur. Regardez cette scène, sur la Route de Savoyard. Les deux bâtisses entourées de champs fraîchement fauchés, la route, à droite du tableau qui emmène l’observateur jusqu’à l’extrémité ouest de Saint-Pierre. Un motif champêtre, peut-être une balade dominicale. L’observateur de 2019 s’il reconnait l’endroit n’avait surement jamais envisagé qu’il ait pu être fréquenté par des dames en longues robes noires se déplaçant en calèche.
Joseph Lemoine a consacré une part de son travail à des thèmes religieux, vraisemblablement des commandes. On lui doit, entre autres, le célèbre chemin de croix de l’Église de l’île aux Marins dont il a assisté à la construction en 1873 et 1874. Quatorze tableaux qui ont récemment retrouvé des couleurs grâce à Kyriaki Tsesmeloglou, restauratrice mandatée pour cette vaste restauration par la DRAC de Bretagne. Avec Rosiane De Lizarraga, directrice du Pôle Développement Attractif de la Collectivité Territoriale, et pour le compte de cette dernière, elle a formé un duo de choc qui a su cristalliser autour de Joseph Lemoine un grand nombre de spécialistes. Leurs recherches lèvent aujourd’hui un coin du voile.
Dans la seconde partie de l’exposition, derrière l’imposante toile de Gaston Roulet, arrêtez-vous pour jouer en répondant aux questions du Quizz mais restez concentrés : l’exposition se termine en vous livrant quelques-uns des secrets que la technologie actuelle a pu nous livrer. Les toiles de Joseph Lemoine ont été examinées sous toutes les coutures et soumises à des outils qui peuvent “voir à travers” la couche de peinture. Les dessins de l’artiste y apparaissent. Ils permettent aux spécialistes de tirer quelques enseignements sur les méthodes de travail du peintre. On retient notamment qu’il n’était pas un amateur, ce que confirment différents actes notariés retrouvés par ailleurs où il était décrit comme “artiste” ou “peintre”. Ses techniques prouvent une certaine connaissance de la peinture, probablement due à une formation.
“Les onze tableaux “passés au crible” sont l’oeuvre d’un artiste de métier et non d’un amateur” explique le film réalisé sur les recherches scientifiques autour des toiles de Joseph Lemoine.
Patrimoine de Saint-Pierre et Miquelon : sauvegarde en cours.
Il a beau être le seul témoin pictural de son époque (dont on dispose encore de suffisamment de toiles), Joseph Lemoine n’est pas très connu dans son île, 133 ans après sa disparition à l’âge de 55 ans.
Cette exposition s’inscrit dans une vaste entreprise de sauvegarde et d’interprétation du patrimoine de Saint-Pierre et Miquelon. Depuis 2009, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne travaille de concert avec les acteurs locaux. Il en a résulté plusieurs inscriptions de nos bâtiments en tant que Monuments Historiques.
C’est d’abord la population locale qui bénéficie de ces recherches et de ces éclairages pertinents.
C’est la population de l’archipel qui va pouvoir se réapproprier son histoire qu’elle connait mal. Pour aller plus loin, je vous recommande vivement de vous offrir le très beau catalogue de l’exposition, 90 pages d’articles à propos du travail qui a été mené autour de Joseph Lemoine. Si vous ne l’achetez pas maintenant, vous allez le regretter, c’est certain.
Pour aller encore plus loin, lisez les deux tomes de Jean-Yves Ribault “Histoire des Îles Saint-Pierre et Miquelon”. C’est un peu aride, mais c’est passionnant quand on s’intéresse à l’histoire de l’archipel. Ils sont disponibles à la librairie de Saint-Pierre. Ils vous permettront de recréer dans le détail et de mieux comprendre le contexte historique illustré par Joseph Lemoine.
L’exposition “Joseph Lemoine, Artiste-peintre, 1830 – 1886” est visible jusqu’à mars 2020. Les Horaires : Lundi : 13h45-17h00 Mardi-vendredi : 13h45-18h30 Samedi et dimanche : 09h30-12h00 / 13h45-18h30
Surprenant qu’il n’y ait pas de commentaires pour un si beau sujet ! En tout cas bravo à nos artistes : Joseph LEMOINE pour la peinture et Patricia pour l’écriture.
J’ai découvert le peintre Saint-Pierrais Joseph LEMOINE en mars 2023, grâce à la “Fondation pour la Sauvegarde de l’Art Français”, dont le Siège est à Paris. Cette Fondation a organisé cette année, un concours pour attribuer une bourse de 8.000 Euros pour la restauration d’une oeuvre en péril.
L’ Association de Sauvegarde du Patrimoine de Saint-Pierre et Miquelon a eu la bonne idée de concourir et a proposé un tableau en mauvais état, de Joseph LEMOINE.. Et victoire, la bourse de 8.000 Euros a été attribuée à ce tableau. L’ oeuvre en question représente un trois-mâts en perdition dans la tempête (le tableau est en dépôt actuellement au Musée de l’Arche à Saint-Pierre). Le patrimoine Saint-Pierrais est à l’honneur !