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Dans la ville d’Halifax, entre le port de conteneurs de Bedford et le pont McKay, se trouve un endroit très spécial, hors des sentiers battus, au centre de la cité et pourtant bien loin de son agitation. Il s’agit du Parc d’Africville, lieu de mémoire des Noirs de Nouvelle-Écosse, au même titre que Grand-Pré, Beaubassin, Port-Royal, Plaisance ou Louisbourg pour nous Français ou Acadiens. Ça vous intrigue? Suivez-nous.

Une histoire méconnue

Beaucoup de gens ignorent l’importance des Noirs dans l’histoire de notre région et encore bien plus de leur présence sur ce territoire, pratiquement depuis l’arrivée des Européens. Et que dire de l’esclavage, bien présent tout au long de notre histoire, tant du côté français qu’anglais et dont on ne parle jamais?

Au début des années 1700, environ 300 esclaves ont été transportés à la forteresse française de l’Île Royale, maintenant l’île du Cap-Breton, tandis que d’autres, alors au service des colons de la Nouvelle-Angleterre, sont arrivés entre 1760 et 1774.

Plusieurs vagues d’immigration

Shelburne, 1788 – Crédit photo: Wikipedia Commons

Aux alentours des années 1785, arrivèrent des Noirs de Jamaïque, chassés de chez eux par les autorités locales suite à un soulèvement populaire.

Enfin, suite à la Guerre d’Indépendance des États-Unis, suivirent des milliers de Noirs, libres cette fois. Les Anglais offrant la liberté à tous les esclaves prêts à fuir leurs maîtres américains et à prendre les armes à leurs côtés, des milliers d’anciens esclaves choisirent ainsi de s’installer en Nouvelle-Écosse et éventuellement au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard.

Inutile de préciser qu’on leur faisait miroiter monts et merveilles en plus de leur liberté: des terres, des fermes, par exemple.

Une vie bien dure

Sans rentrer dans les détails (si vous souhaitez aller plus loin, on vous suggère cet article écrit par le Musée Canadien de l’Immigration Quai 21, de Halifax), la vie des Noirs libres ne fut guère plus gaie que celle des esclaves arrivés avant eux.

Certains sautèrent sur l’occasion de repartir s’installer ailleurs, en Sierra Leone par exemple, mais beaucoup choisirent de rester ou n’eurent tout simplement pas le choix.

C’est ainsi que l’histoire Noire de notre région remonte à plus de 300 ans. Esclaves ou non, les Noirs de Nouvelle-Écosse travaillèrent à Louisbourg, participèrent à la construction d’Halifax et à celle de sa Citadelle.

Crédit photo: Wikipedia Commons

Leur sort s’apparenta beaucoup à celui des Acadiens, puisqu’ils étaient, eux aussi pour la plupart, mis au ban de la société anglaise: à eux les terres les plus incultes, les travaux les plus durs et les conditions de vie les plus déplorables.

Hélas, leur situation ne s’améliora pas beaucoup durant l’ère moderne.

Africville

Marginalisée socialement et économiquement, la communauté noire d’Halifax décida de planter ses racines dans un coin isolé du Nord de la ville, sur la rive du bassin de Bedford où personne n’était encore installé.

Ainsi naquit Africville. La mention la plus ancienne de la localité remonte à 1848.

Au fil des plus de 100 ans d’histoire du village, le moins qu’on puisse dire c’est que les résidents  ne l’ont pas eu facile!

Malgré leurs demandes et même si les résidents payaient des taxes municipales, la ville d’Halifax ne fournit jamais à Africville les services de base, tel que l’eau courante, l’électricité, les égouts et encore moins le ramassage des poubelles.

Comme en ont témoigné bien des résidents, les gens d’Africville étaient pauvres, leurs demeures n’étaient pas belles mais ils étaient chez eux et vivaient tous ensemble, un peu comme s’ils avaient été à la campagne et tous regroupés autour de leur église Baptiste.

Pour gagner leur vie, les homme travaillaient comme porteurs à la gare, les femmes comme servantes ou blanchisseuses ou encore dans les entreprises de Halifax – entre autres la chocolaterie Moirs dont beaucoup d’entre nous se souviennent pour ses boîtes de chocolat “Pot of Gold”, omniprésentes dans toutes les foyers de notre région.

Un lieu convoité

Au fils des ans, le site d’Africville, autrefois méprisé pour son éloignement du centre-ville, devint un endroit fort convoité.

La ville prenant de l’ampleur, le port aussi, Halifax se mit bientôt à envisager son développement vers le Nord et se mit à lorgner sur Africville.

Mais les résidents, soudés autour de leur école et de leur église Seaview Baptist Church, ne voulaient pas entendre parler de partir. On les comprend puisque tous leurs biens se résumaient à leur lopin de terre, leur maison, leurs jardins.

Des résidents gênants

Qu’à cela ne tienne, la ville d’Halifax décida d’aller de l’avant avec ses projets d’expansion, pensant que cela suffirait à faire fuir ces résidents devenus gênants.

Successivement, on implanta donc tout autour d’Africville, un dépotoir, une prison et un hôpital spécialisé dans le traitement des maladies infectieuses. La ligne de chemin de fer passait en plein milieu du site, bref de quoi faire fuir la population, espérait la municipalité. En vain!

la boule à démolition

Finalement dans les années 1960, la ville décida de raser Africville, prétextant alors que l’endroit était insalubre et qu’il en allait de la santé et de la sécurité des habitants! (curieusement, la municipalité n’y avait pas pensé avant!)

L’église fut rasée de nuit, les maisons démolies une à une, certaines familles extirpées par la force. Ceux qui avaient un titre de propriété ont été compensés pour la valeur de leur maison, les autres reçurent 500$.

50 ans de persistance

Il fallut un demi siècle de plaintes, de manifestations et de représentations politiques pour que, finalement, en 2010, le maire d’Halifax s’excuse publiquement au nom de la municipalité d’avoir ainsi traité la communauté d’Africiville. Il offrit alors réparations: 5 millions de dollars, 1 hectare de terre là où était la communauté et l’engagement de reconstruire sur les lieux l’église Seaview Baptist Church.

Ce qu’il reste

La ville a tenu sa promesse: l’église a été reconstruite à l’identique et abrite aujourd’hui le musée d’Africville. Seul l’emplacement a changé. Le reste du terrain constitue maintenant le parc.

Des maisons, des magasins, des jardins se dressaient où se trouvent aujourd’hui les sentiers, les tables à pique-nique et les superbes installations didactiques expliquant l’histoire du lieu.

Face au bassin de Bedford, suite à la visite du musée, on se prend à penser aux enfants qui ont joué plus d’un siècle durant au bord de l’eau et aux centaines de gens baptisés dans la religion Baptiste (comme son nom l’indique!), dans le bassin de Bedford, entre 1849 et 1963.

Malgré la douleur qu’a connu ce lieu, malgré des alentours très industrialisés, l’endroit est paisible, comme il devait l’être autrefois. “Comme si on était à la campagne”, en effet!

C’est en tous les cas l’atmosphère du livre jeunesse “Africville”, écrit par Shauntay Grant. illustré par Eva Campbell, publié en anglais, puis en français, chez l’éditeur et ami de l’Heure de l’Est, Bouton d’or Acadie.

Pour en savoir plus sur le sujet, sur le livre, son auteure et sa traduction, prenez le temps de visionner ce documentaire de 21 minutes, produit en février 2021 dans le cadre du mois de l’histoire Noire au Canada par la communauté francophone d’Halifax.

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Françoise Enguehard

Native de Saint-Pierre et Miquelon, Françoise est établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis plus de quarante ans. Journaliste (anciennement à Radio-Canada, aujourd’hui chroniqueuse pour l’Acadie Nouvelle) , auteure reconnue, bénévole de la communauté francophone de l’Atlantique (Présidente de la Société Nationale de l’Acadie de 2006 à 2012 et de la Fondation Nationale de l’Acadie depuis 2014), elle connaît intimement la région de l’Heure de l’Est, ses gens et les défis qu’ils relèvent au quotidien. Femme d’affaires, elle dirige VIVAT Communications, une firme spécialisée dans la traduction et les communications.

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