Imaginaires et immobiles. Voilà deux adjectifs qui vont qualifier la plupart de nos déplacements pour les mois à venir. Au moment où j’écris ces lignes les frontières canadiennes sont hermétiquement closes, ce n’est même pas la peine de penser à un petit week-end d’exploration avant … longtemps. Il nous reste à fermer les yeux et à nous remémorer des bons moments pour anticiper et fignoler mentalement les futurs voyages quand tout ira mieux. Tant de chagrins et de souffrances se sont cristallisés autour de la Nouvelle-Ecosse si cruellement touchée en avril, c’est d’abord là que j’ai eu envie de retourner dans mes souvenirs et pour vous envoyer une carte postale rétrospective d’un des plus beaux endroits de la région.
Venez avec moi je vous emmène à Baddeck, au centre du Cap Breton.
Baddeck dans la tête
Une brise estivale de fin de journée, douce et dorée. La lumière d’un tableau de Monet, du parme de soleil couchant.
Un paysage de montagnes recouvertes d’une forêt sombre qui ondule lentement. Bruissement continu des feuillages.
A leur pied, une mer intérieure, le lac Bras d’Or – le bien nommé. Sa surface ondule à peine, juste assez pour donner un léger mouvement aux voiliers au mouillage dans le petit port où résonne une cornemuse.
Dans la marina, des groupes de navigateurs huppés sont attablés en terrasse. Ils se racontent leurs voyages d’une table à l’autre. Ils arrivent de Nouvelle-Angleterre pour la plupart.
Une gorgée de Big Spruce pétille encore sur votre palais, vous êtes assis à une terrasse surplombant les quais. Contemplez cette quiétude absolue en vous fredonnant Sittin’ On the Dock of the Bay. Vous ne demandez rien de plus à la vie. Des enfants jouent à sauter du haut du ponton, la cornemuse couvre leurs rires; la température de l’eau doit être bonne.
Baddeck : l’Écosse, le nautisme et Graham-Bell
Baddeck, l’empreinte écossaise
Aller à Baddeck c’est un voyage à tiroirs. C’est d’abord vous rendre au Cap Breton et prendre la direction du Cabot Trail dès le détroit de Canso.
La Nouvelle-Ecosse est bien organisée en termes d’itinéraires touristiques et vous pourrez constater que beaucoup d’autres gens auront eu la même idée que vous. En saison estivale, le Cabot Trail est très fréquenté que ce soit en voiture, en autocar de tourisme ou en vélo, mais il y a de l’espace, c’est assez facile de se tenir éloigné des groupes si vous le souhaitez. Mais pour le moment nous faisons un voyage imaginaire, et il y a juste le nombre de touristes qu’il faut.
La province aime et cultive les métissages culturels. Au Cap Breton, côté Atlantique, c’est l’Acadie de Chéticamp. Côté Bras d’or l’accent est mis sur les racines écossaises d’une partie de la population. Concrètement vous parcourrez des glens, vous verrez quelques kilts, vous entendrez de la cornemuse, on vous invitera à un ceilidh (un partie de cuisine gaélique). Les panneaux routiers seront bilingues anglais/gaéliques. ça semble un détail mais ça fait son petit effet. Pour vous mettre dans l’ambiance vous tenterez de prononcer Baile Naoimh Pheadair.
Baddeck est d’ailleurs issu d’un mot gaélique (dont je n’ai pas malheureusement pas trouvé la traduction). Vous serez à quelques dizaines de kilomètres d’Iona et de son Highland Village si vous voulez en apprendre plus sur les racines écossaises du Cap Breton. Et c’est aussi un endroit magique, on en reparlera.
Si je suis allée à Baddeck, c’était dans le cadre de mon “programme personnel de quadrillage minutieux du Canada Atlantique” ! Et aussi parce que j’ai souvent entendu parler de navigateurs de Saint-Pierre et Miquelon qui s’y rendaient l’été. Facile, il n’y a qu’à faire route une soixantaine d’heures. C’est une longue route pour y arriver. Le Cap Breton, sur une carte, ça ne parait pas si grand, mais méfiez-vous : chaque itinéraire serpente entre les highlands, les glens et les bras de mer, les distances sont multipliées. Tant mieux ! La route est jalonnée de dizaines de points de vue où vous aurez envie de passer la journée en contemplation. Arrêtez-vous, faites en sorte de ne pas être pressés, chacun point de vue est spectaculaire.
Baddeck, une marina enchâssée dans un écrin de montagne
Techniquement, avec ses 700 habitants à l’année, Baddeck est un village. Mais avec presque 700 chambres d’hôtel et une vie touristique intense plus de 6 mois par an, on a plutôt l’impression d’être dans une petite ville très animée. C’est chic sans être bling-bling. On adore !
Vous croiserez de nombreux équipages plus tout jeunes, habillés de jeans blancs, chaussures bateaux et pull sur les épaules. Pendant la belle saison, les beaux voiliers de la Nouvelle-Angleterre viennent y faire escale et passer quelques jours délicieux dans la marina. Beaucoup d’amateurs de nautisme de New York, Boston et Cape Cod se retrouvent là lors d’un périple estival dans le lac Bras d’Or. La Dolce Vita version côte Est canadienne.
Au pays d’Alexander Graham-Bell
Site historique national Parcs Canada, la ville a misé sur un tourisme culturel en faisant de multiples références à Graham-Bell. Son centre névralgique est, sans surprise, le musée consacré au génial scientifique qui surplombe le village. Il attire des centaines de milliers de touristes chaque année.
Alexander Graham-Bell n’est pas né à Baddeck, il était d’Édimbourg, en Écosse. Il a immigré au Canada, d’abord en Ontario, avec ses parents en 1870. Un départ de l’Ecosse motivé par le décès de ses deux frères atteints de tuberculose : ils cherchaient un climat plus moins humide et plus clément. C’est ce climat de son enfance que Alexander Graham-Bell a ensuite retrouvé au Cap Breton.
Une invention du téléphone plus tard, vers 1885 Alexander, son épouse Mabel et leurs enfants ont élu domicile à Baddeck alors que les affaires florissantes de la Compagnie Bell les avaient mis à l’abri du besoin. En quête de tranquillité pour poursuivre ce qui lui était aussi essentiel que respirer : inventer. Le vaste domaine dont ils firent l’acquisition est toujours fréquenté par la famille Bell : quand on arrive à Baddeck un panneau indicateur nous dirige vers Beinn Breagh (Belle Montagne en gaélique).
Graham-Bell, vraiment génial
J’avais mis à mon programme la visite du Musée Graham-Bell de Parcs Canada, incontournable. Bonne élève, j’y suis allée même s’il faisait un temps extraordinaire et même si le ciel bleu, les 25° et les eaux miroirs du Bras d’or parcourues de bateaux aux voiles blanches gonflées invitaient plus au pique-nique qu’à la visite d’un musée consacré à l’inventeur au téléphone.
Le musée est un tout petit peu vieillot, et si vous êtes francophone vous risquez de vous crisper un peu sur les traductions parfois maladroites. Mais quand vous aurez dépassé ce petit moment de frustration auquel je viens de vous préparer, quelle révélation !
On est saisi par le génie, l’humanisme et le modernisme d’Alexander Graham-Bell. Ça serait vraiment trop long de faire la liste de tous les sujets d’études d’Alexander Graham-Bell qui vivait pour inventer, dans tous les domaines (la surdité a été son premier domaine de compétence, puis le son et donc le téléphone, le phonographe, un poumon artificiel, le premier vol habité au Canada etc). Une personnalité hors du commun. Le musée met l’accent sur un trait particulier assez rare pour son époque : qu’il aimait et s’intéressait énormément aux enfants. Il disait :
J’aime tellement les petits enfants que rien ne m’est plus agréable de me retrouver en leur compagnie.
Ça semble anachronique !
Il a mis au point une centaine d’expériences scientifiques conçues pour les plus jeunes, pour leur donner le goût de la découverte et de la recherche. Le musée consacre plusieurs salles et activités au jeune public.
Dans cette famille on prenait des photos à tout bout de champ, le musée en est plein. Si bien que Mabel et “Alec” sont étrangement présents et accessibles.
La visite en gants blancs : à faire absolument !
Peut-être pour renouveler une offre muséale légèrement désuète, Parcs Canada a trouvé une idée originale et relativement aisée à mettre en place : La visite en gants blancs.
Le principe est simple : le musée Alexander Graham-Bell dispose d’une foule d’artefacts dont une grande partie n’est pas exposée. L’idée est de permettre aux happy few qui choisissent cette visite de TOUCHER des objets personnels du génial inventeur.
Peut-être êtes-vous dubitatifs sur l’intérêt de l’expérience…
Je peux vous dire qu’après une visite approfondie du musée, après avoir lu chaque panneau et avoir regardé chaque photo, j’étais en connexion avec Alexander et Mabel. C’est certain que j’étais vraiment en condition pour cette immersion totale, mais ça a rendu ma visite au musée vraiment inoubliable.
Une guide Parcs Canada fait une visite personnalisée, répond à toutes vos questions puis, dans une petite pièce sans fenêtre et à l’hygrométrie contrôlée vous voilà immergé parmi les effets personnels de Graham-Bell.
Prendre dans ses mains, gantées, avec de grandes précautions, un des petits carnets qui ne quittaient jamais Alexander Graham-Bell, le feuilleter et tenter de le déchiffrer comme si on allait découvrir un secret de l’Univers.
C’est très émouvant je vous assure !
Des vêtements, d’autres photos, et sa voix que l’on entend dans le tout premier enregistrement vocal de l’histoire en 1885 (oui ! c’est aussi lui !) : on se sent tout d’un coup très proche, presque faisant partie de la famille.
Après tout ça, je vous met au défi de passer devant la boutique du musée sans acheter un ouvrage sur la vie de Graham-Bell !
Je remercie chaleureusement le personnel du Musée Alexander Graham-Bell qui m’a réservé un excellent accueil.
Merci de m’avoir rappelé cette ville que j’ai adoré quand j’avais … 13 ou 14 ans me semble t-il. J’avais été moi aussi fascinée par les talents multiples d’Alexander Graham Bell, touche à tout de génie. Ce reportage m’a donné envie de retourner faire un tour au Cap Breton un de ces jours.
Bravo et merci Patricia pour cette balade très originale. Je n’avais jamais entendu parler de cet endroit, mais j’adorerais le visiter ! peut-être à l’occasion d’un prochain voyage à St Pierre. Bisous Lise
Chère Patricia, merci pour nous avoir faire voyager dans un si beau coin de notre belle région surtout aujourd’hui où on ne peut y aller. Je me rappelle ma visite à Baddeck et le musée, il y a un grand bout. Ton article m’a donné le goût d’y retourner.
Merci pour ce voyage immobile à Baddeck et la magnifique tournée du musée ! J’y suis allée plusieurs fois sans y rester trop longtemps, dommage pour moi car il y a énormément d’information et on reste admiratif à chaque fois devant ce grand inventeur.
Bonjour
Merci une fois encore pour ce voyage virtuel
Magnifique paysage et le musée de Bell est très intéressant
Merci au plaisir de vous lire Bonne journée
Béatrice