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Un premier hiver à Saint-Pierre et Miquelon, ça se vit comment ? À force d’être toujours dans les mêmes paysages, saison après saison, on finit par ne plus voir la beauté de ce qui nous entoure.
Avec l’habitude, même les lieux les plus beaux deviennent redondants. Alors il faut aller chercher le regard des autres. Chasser la routine en usant de l’œil neuf des personnes qui sont installées dans l’archipel depuis quelques mois. À travers eux, redécouvrir ce qui fait l’essence de Saint-Pierre et Miquelon, et la transmettre.

Jean-Christophe m’attend devant l’un des tas de neige laissés par la dernière tempête. Ils garnissent encore les zones les plus à l’ombre de la place Général de Gaulle mais on sent bien qu’ils n’en ont plus pour très longtemps. La lumière qui arrive autant du ciel que de la réflection du port est déjà douce et dorée même si la température a du mal à devenir positive. C’est un bon moment pour parler de l’hiver qui tire à sa fin.

Portrait Jean Christophe premier hiver saint pierre Miquelon

"Saint-Pierre et Miquelon, on le vit comme une renaissance."

Nous nous sommes donné rendez-vous dans l’unique café de Saint-Pierre.

C’est la première fois que nous nous rencontrons « en vrai ». J’avais déjà croisé Jean-Christophe plusieurs fois sur la toile. Il vient d’arriver dans l’archipel et fait du « géocache poétique » en se servant de Facebook, alors difficile de passer à côté, le concept est assez génial et on en reparlera.

On s’installe au café bien occupé, on est samedi et c’est l’heure du coup d’thé. Deux Earl Grey s’il vous plait.

Jean-Christophe et sa conjointe Sandrine sont arrivés à Saint-Pierre et Miquelon entre Noël et le jour de l’An 2023, il y a seulement 3 mois. Sans valises ni idées préconçues.
Si les premières ont fini par arriver après quelques démarches et un peu de patience, les secondes, si tant est qu’elles ont un jour existé, n’ont pas quitté Tarbes, dans le Sud-Ouest de la France.

Qu’est-ce qui vous amène dans l’archipel ?

« L’isolement, le calme, … Nous installer à Saint-Pierre et Miquelon, c’était la condition pour renaitre. »

C’est bien de renaissance dont Jean-Christophe me parle ? Fichtre, le mot est fort.
Grand gaillard, petite cinquantaine, je suis surprise de la confidence. Surprise que cette installation dans l’archipel signifie autant.
Qu’est-ce qu’il peut bien trouver ici qu’il n’avait pas, ou plus, ailleurs ? au point qu’il parle de renaissance.

Qu’est-ce qu’il est venu chercher sur ce qui  semble souvent être une terre de frimas balayée par les vents plusieurs mois par an ?

” On était à la recherche d’une vie tranquille et simple. On voulait arrêter de courir, nous extraire de la pression du quotidien en métropole. Tous les deux on a trouvé ce qu’on espérait en venant ici : l’attention à l’autre, l’inverse du chacun pour soi de la métropole.

Ici les automobilistes nous laissent traverser la route et à la boulangerie, surtout quand il fait froid, les gens qui sortent nous laissent la priorité pour rentrer pour qu’on se mette à l’abri.

On dirait que plus il fait froid, plus on fait attention les uns aux autres. On n’avait jamais vu ça !”

Un conseil avant de venir s’installer à Saint-Pierre et Miquelon ?

“S’informer sur la vie du territoire”, c’est très important. “On peut suivre les journaux télévisés de Saint-Pierre et Miquelon La 1ère, regarder Cheznoo.net par exemple”. Ou lire l’Heure de l’Est ! C’est très chaudement recommandé.

“Surtout, plus que tout le reste il ne faut jamais se sentir en pays conquis. On a vécu en Corse, on savait ce que c’était que de s’installer dans une île. Ici c’est la même chose”

Faire connaissance avec les îles à la période de l’année où elles sont les plus rugueuses, c’est s’exposer sans filtre à ce qui compose l’âme de ses habitants. L’isolement et les hivers difficiles façonnent notre caractère d’iliens. Il n’y a pas que ça, mais ça compte pour beaucoup.

À Saint-Pierre et Miquelon, on vit en prise directe avec la Nature. Toute l’année, mais c’est l’hiver qu’on le ressent particulièrement.
La mer, omniprésente, rythme notre vie autant que si on était sur un navire.

Pas de vent ? du vent ? d’est ou de nord ? Ça n’aura pas le même effet. C’est le menu de la semaine qui s’en trouvera impacté.

De la neige ? pas de neige ? … plus qu’ailleurs c’est la nature qui va valider, ou pas, les plans de la journée ou même de la semaine. C’est la nature qui va permettre un voyage ou forcer à le repousser.

C’est aussi toujours la nature qui vous remet dans le droit chemin si vous avez eu tendance à vous sentir comme un roi.

Comme la fois où la déneigeuse a fait une muraille de neige tout autour de la voiture de Jean-Christophe, … il a compris qu’il devait s’habituer aux contraintes de l’hiver et qu’il fallait simplement pelleter.

D’ailleurs, c’est pareil pour tout le monde.

vélo couver de glace hiver saint pierre et miquelon
portrait jean christophe
haiku hiver saint pierre et miquelon
etang gele savoyard saint pierre et miquelon en hiver
Ghjuu portrait
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hiver saint pierre maisons et toitures
hiver saint pierre et miquelon rue neige
portrait Ghjuu

"Je n’avais encore jamais vécu un hiver
comme ici !"

Ghjuu, elle aussi, sait ce que c’est que le respect des autochtones.

Ghjuvanna, … rien que son prénom sonne comme une polyphonie. Ghjuu est Corse, d’Ajaccio.

Native de l’Île de Beauté … ce presque paradis sur Terre … les superlatifs ne manquent pas au sujet de son île, et pourtant, Ghjuu, son conjoint Earvin et leur petit Petr’Anto de 3 ans 1/2 sont venus s’installer ici.

Ils sont arrivés en septembre dernier.

Mais pourquoi avoir quitté la Corse,

sa chaleur, ses merveilleux petits villages, sa gastronomie et ses eaux turquoises pour venir vous installer ici ?

«  On est venu dans l’archipel pour rendre plus douce notre vie de tous les jours. Ici c’est tranquille, il n’y aucun stress, on est à 3 minutes de tout. »

Dites-moi si je me trompe mais la première réponse de Ghjuu ressemble beaucoup aux premiers mots de Jean-Christophe. Elle développe :

” À Ajaccio on n’avait pas du tout de temps libre.

C’était la course tout le temps. Pour l’école, pour les courses, dans les transports … A Saint-Pierre, c’est fini tout ça : on a le temps.
On retrouve du temps pour nous et en tant que parents nous sommes beaucoup plus disponibles pour notre petit Petr’Antò ».

Pour la Saint-Pierraise que je suis, c’est intéressant de remettre en perspective ce que j’ai toujours pris pour acquis. Saint-Pierre et Miquelon seraient-elles deux îles exceptionnelles ?

Et le climat ? Ajaccio est quand même l’une des villes de France où il fait beau presque 12 mois sur 12.

« Ah ! Je n’ai jamais vécu un hiver comme ici ! On a eu des températures très basses (une vague de froid entre -15° et -18° qui a duré près de 10 jours, un phénomène un peu inhabituel [ndlr]). Là, j’ai souffert. Mais maintenant je pense que je suis habituée.

De toute façon, je n’aurais jamais voulu partir m’établir sur une île tropicale. Les ouragans, l’insécurité ? Pas question ! À Saint-Pierre, quand on se balade, on ne risque pas de se faire agresser, tout le monde est serein. Je m’y sens parfaitement bien. C’est  vraiment formidable quand on a des petits. 

À Saint-Pierre notre fils a trois activités sportives par semaine. Il fait du karaté et du Tae-Kwon-Do, à Ajaccio, ça serait impensable.

Justement, quand on interroge le petit Petr’Anto, la réponse est claire : pas de choc thermique.

Quand il n’est pas en kimono il joue dans la neige et il adore l’hiver qu’il a découvert ici.

Même si on s’habille beaucoup : le bonnet, les gants, le manteau, les bottes fourrées … c’est plus épuisant pour les parents que pour les enfants !

D’accord, mais pour le reste ?… La gastronomie corse ne vous manque pas ?

En fait l’un des arguments qui les  a décidé à venir à Saint-Pierre et Miquelon est un peu alimentaire :  quand Ghjuu et Earvin ont vu qu’il n’y avait pas de cantine à Saint-Pierre et Miquelon, ils ont été définitivement certains de leur choix.  Un argument décisif qui impliquait forcément une meilleure qualité de vie pour leur famille. Une “chance” dont les mamans de Saint-Pierre et Miquelon ne se rendent pas toujours compte, croyez-moi !

« Après … pour tout vous dire, je ne pensais pas qu’on pouvait vivre aussi longtemps sans légumes. On en trouve, bien sûr, mais rien n’a le même goût. Ils ont tellement voyagé. Par contre on compte bien se rattraper avec le crabe des neiges et le homard ! C’est pour bientôt n’est-ce pas ? ».

Oui c’est pour très bientôt.

Vous savez ce qu’on dit ici … En avril ne te découvre pas d’un fil, en mai, garde ton bonnet !

Les saisons ne sont pas les mêmes qu’à Tarbes ou Ajaccio. L’hiver peut sembler long, le printemps peut donner l’impression de ne jamais arriver. Tout comme les Inuits ont plusieurs mots pour désigner la neige, Ghjuu et Jean-Christophe vont bientôt apprendre qu’ici, à Saint-Pierre et Miquelon, nous avons plusieurs façons de parler du brouillard. Mais n’anticipons pas !

…L’été viendra et l’archipel paraitra encore plus rayonnant. Le meilleur est à venir !

Merci à Ghjuu et à Jean-Christophe pour leur disponibilité et leur bienveillance.

Patricia Detcheverry

Après 10 ans en régie publicitaire, je me suis lancée dans l'hôtellerie et j'ai vécu (encore) 10 ans au rythme des saisons touristiques. Freelance depuis 2017 j'allie mon regard de femme de l'Atlantique et mes compétences en communication pour faire connaitre ma région. Ce que j'aime par dessus tout ? Faire découvrir les petits endroits paumés où personne ne va, les petites routes ignorées, les bouts du monde et les gens, toujours les gens !

14 Comments

  • Patricia Poulin dit :

    Je suis abonnée à votre info-lettre. Et à chaque fois que je la reçois, je suis épatée !
    Je suis Gaspésienne de la Baie-des-Chaleurs depuis maintenant 12 ans. Pas loin des Maritimes et je pense souvent à ces deux îles françaises, là-bas… Un jour, je m’y rendrai. Ça ne semble pas de tout repos pour se rendre et comme on dit, la route fait partie du voyage !
    Merci Patricia pour vos reportages appréciés!
    Une autre Patricia

    • Françoise Enguehard dit :

      Merci Patricia de nous suivre. Où habitez-vous dans la Baie des Chaleurs. C’est un coin de pays très beau!
      Pour ce qui est de visiter Saint-Pierre et Miquelon, le plus simple et le plus économique pour vous, serait de vous rendre à Halifax par la route puis de prendre l’avion de Halifax jusqu’à Saint-Pierre (moins de 1h30 de trajet). Sinon, en effet, c’est compliqué: il faut se rendre jusqu’à Sydney, au Cap-Breton, prendre le traversier jusqu’à Terre-Neuve, descendre en auto jusqu’au port de Fortune et prendre le traversier (1h30 de trajet) jusqu’aux îles.
      Françoise

      • Patricia Poulin dit :

        Merci Françoise ! Oui, j’adore mon coin de pays, à Maria. Tranquille et près de la mer, comme on dit ici. Elle est partout. Je viens de lire la façon de se rendre aux îles, dans l’onglet à cet effet. Je ne savais pas que je pouvais prendre l’avion d’Halifax. Je vais vérifier ceci, c’est certain. Et comment fait-on pour visiter les îles, sans voiture ? Pour aller voir les autres îles ? Merci.

  • valade dit :

    Dommage pour nous de n’avoir pas connu St Pierre avant notre retraite, maintenant 74 et 73 ans. mais une visite pour tourisme est envisageable.
    Bravo à ceux qui font le saut. Alain et Annie

  • SOLY dit :

    hello ! Pour ma part, c’est la Polynésie Française que j’ai quitté après y avoir vécue une décennie entre Tahiti et l’Ile de Raiatéa……..quelques années à l’Ile de la Réunion, je m’apprêtais à partir à Mayotte , mais vu l’ambiance qu’il y a là-bas ……..
    J’ai un motorhome (concorde liner)……..Y a-t’il une possibilité de s’installer dans un camping ou chez un particulier ?
    Je souhaiterai passer une année pour tester les 4 saisons
    Merci de votre réponse
    Amicalement
    Solange (soly)

  • DETCHEVERRY LISE dit :

    Merci Patricia pour ce joli témoignage retranscrit avec talent !

  • Fleury gerard dit :

    Merci pour ce reportage, dommage 78 ans a l’ horloge c’est un peu tard pour penser de venir vivre a saint pierre, beaucoup de regrets, gerard fleury

    • solange dit :

      Moi aussi, j’ai 78 ans et toujours en “vadrouille” !!

      • Patricia Poulin dit :

        Je suis un peu plus “jeune” biologiquement (!), mais oui, on peut ” vadrouiller ” encore à nos âges ” sans trop de sagesse ” !
        Patricia

    • Patricia Poulin dit :

      Monsieur Gérard, si la santé est là, je crois qu’il n’est jamais trop tard. Mon humble opinion bien sûr. Je vous encourage à poursuivre et à réaliser votre rêve et à vous installer à Saint-Pierre. Nous ne sommes jamais ” vieux ” ou trop âgé.e pour tenter de nouvelles expériences. Il en reste beaucoup moins en avant de nous que derrière. Regardons dans le pare-brise et non dans le rétroviseur…Je vous souhaite votre déménagement.

  • René Enguehard dit :

    Une belle mise au point pour tous ceux (moi y inclus) qui passent beaucoup de temps à se plaindre du climat, de l’isolement et de la fermentation en vase clos. Pour moi qui a tendance à déplacer beaucoup d’air, j’avais besoin d’une plus grande île….je l’ai trouvée, juste à côté, …Terre-Neuve!

  • Lucie LeBouthillier dit :

    J’adore. Quel beau témoignage et si bien écrit, ça nous touche droit au cœur. De plus en plus c’est ça que j’entends des gens qui quittent tout pour venir s’établir dans nos petits village: le calme, la sécurité et le temps de vivre, d’apprécier la vie, les gens et la nature. Et nous qui croyons que nous n’avons rien à offrir! Bravo 👏

  • Maltese Stéphanie dit :

    Merci pour ce très beau reportage et cette impression de sérénité à St Pierre et Miquelon c’est juste magique, on a juste le sentiment d’être à la fois hors du temps et en même temps terriblement vivant.

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