Quand on demande à Patrick Dérible, artiste de Saint-Pierre et Miquelon, pourquoi il a choisi de se consacrer aux arts visuels, il dit simplement qu’il est fasciné, depuis tout petit, par l’Image, celle qu’on écrit avec un “I” majuscule, celle qu’on crée avec un crayon, un pinceau, une gouge, une plume, que sais-je encore! Car Patrick Dérible essaie tout, toujours avec brio. Retraite aidant, on peut même penser que le meilleur reste à venir.
Autodidacte et fier de l’être
De toute l’histoire de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, on ne compte qu’un seul et unique artiste-peintre formé et qui ait vécu exclusivement de son art : un certain Joseph Lemoine, qui fait en ce moment l’objet d’une remarquable exposition (nous vous en parlions il y a quelques semaines) et dont on ignore tout de la formation.
Tous les autres artistes locaux se sont faits et se font eux-mêmes et elles-mêmes (car il ne manque pas de femmes artistes!), puisqu’il n’y a guère que les quelques cours de dessin donnés à l’école pour révéler les vocations.
Patrick Dérible a donc appris lui-même à s’exprimer. C’est d’autant plus remarquable qu’il s’est imposé dans de nombreuses formes d’expression artistique.
La photographie d’abord
C’est d’abord la photographie qui retient son attention et qui, après plusieurs années à bourlinguer sur les mers pour IFREMER, lui trace une carrière dans le monde de la télévision (comme cameraman puis monteur). L’image est déjà au centre de sa vie.
Passionné par les premiers photographes de l’archipel, il publie même un premier petit ouvrage sur le sujet.
Après la photo, il passe à la peinture à l’huile. Avec un autre artiste local, Jean-Claude Girardin, il se lance dans l’évocation de son archipel.
En 1985, cela donne même lieu à une exposition à La Rochelle, en France!
Je ne voulais pas travailler d’après photos; je voulais aller sur le terrain, avec un équipement plus léger, alors progressivement le dessin a pris le dessus
Mieux vaut en rire
Y aurait-il eu un journal à Saint-Pierre et Miquelon, que Patrick Dérible aurait pu trouver son bonheur dans le dessin humoristique et journalistique.
Mais de journal, point! alors, au lendemain de la délimitation des eaux territoriales de l’archipel, puis du moratoire à la pêche et de l’accord de pêche avec le Canada qui rétrécit l’activité maritime de Saint-Pierre et Miquelon comme peau de chagrin, il se contente d’exprimer, par le dessin, comment Saint-Pierrais et Miquelonnais se sentent .
“Humour étau”, mais efficace, pour un archipel français de plus en plus coincé entre les impératifs géopolitiques de la France et du Canada.
Deux ans après le moratoire à la pêche, alors que la morosité a élu domicile tant à Saint-Pierre qu’à Miquelon, il publie un livre amusant sur la brume, élément constitutif, pourrait-on dire, des îles.
L’idée est un peu folle mais elle conquiert l’éditeur local Jean-Jacques Oliviero, qui lance, en 1994, “J’aime la brume”.
L’art du portrait
Toujours à la recherche de nouveaux défis, Patrick se lance alors dans le portrait au crayon graphite et surtout à la sanguine. Comme il n’y a personne pour enseigner la technique, c’est par correspondance qu’il se forme, pendant plusieurs années.
La sanguine c’est plus subtil et expressif que le graphite pour le portrait et ça se marie très bien avec un papier-crème
S’il consacre tant de temps à maîtriser la technique – on pourrait même dire les techniques, puisqu’il y découvre, par exemple, la technique des 3 crayons , (non, moi non plus je ne connaissais pas!) – c’est qu’il a un autre projet de livre.
une collection de portraits de figures bien connues de l’archipel. C’est un succès immédiat.
Les portraits forment aussi une exposition à laquelle on accourt. Chacun reconnaît un ami, un proche, une personnalité bien connue qu’on découvre ainsi sous un jour nouveau.
On admire la profondeur du regard, la finesse du trait et sa justesse. Ce n’est plus de la photo… et pourtant, les personnages sortent pratiquement du dessin.
Et, même si le médium n’est plus exactement le même, on peut déjà apprécier le chemin artistique parcouru par Patrick Dérible entre les dessins sur la brume et ces portraits artistiquement accomplis.
Le travail en miniature
Tous les amateurs de philatélie de par le monde le savent, Saint-Pierre et Miquelon est un endroit hors pair pour sa production de timbres postes. On vous en reparlera bientôt d’ailleurs, c’est promis.
Parallèlement à ce travail de portraitiste, l’artiste de Saint-Pierre et Miquelon se lance donc dans le dessin pour les timbres. Il a été sollicité comme d’autres artistes locaux par le service des Postes puisqu’en 1985 (après une interruption de neuf années due à un changement de statut), l’archipel arrête d’utiliser les timbres français et retrouve le droit de créer les siens.
“Le timbre, c’est le plus petit des supports, mais c’est aussi le dessin le plus diffusé. Son côté officiel, sa valeur fiduciaire, un peu comme la monnaie, me plaisaient,” explique-t-il.
C’est la raison pour laquelle, Patrick se passionne aussi pour l’art postal.
Une constante remise en question
L’artiste qui a passé des années à se former à l’art du portrait, doit apprendre à faire plus petit et à épurer son trait pour répondre aux exigences de la production de timbres gravés en taille douce. À ce jour, Patrick a réalisé 72 timbres – 70 pour l’archipel et 2 pour la France. Tout un palmarès!
Dessiner pour le timbre revient à inverser ce qu’on fait comme portraitiste, mais c’est clairement cette constante remise en question de son art qui passionne l’artiste!
C’est tellement vrai, qu’après le timbre poste, Patrick s’attaque à un défi encore plus remarquable: il se lance dans la linogravure. Cette fois, c’est tout à fait l’inverse du portrait ou du dessin philatélique. En gravant dans le linoléum avec les gouges, c’est ce qu’on enlève qui va être blanc: on obtient donc un dessin en négatif.
Et, petite touche personnelle, l’artiste ajoute un peu d’aquarelle à sa linogravure! Rendu là, pourquoi pas!
Faut-il le préciser? Patrick Dérible puise la majorité de son expression artistique dans l’histoire, la géographie, le patrimoine et la vie de ses îles Saint-Pierre et Miquelon (et dans sa famille, puisque l’artiste signe d’une canne et d’un chapeau haut de forme, clin d’oeil à son grand-père Ledret).
Son tout dernier projet – un livre sur les tambours de l’archipel vient consigner tout ce qui entoure cet aspect unique des maisons de Saint-Pierre et de Miquelon.
Le goût du voyage
Seule exception pour l’artiste de Saint-Pierre et Miquelon à cette quête constante d’expression de ses îles, de leur beauté et de leur spécificité, ses carnets de voyage qui mériteraient à eux seuls, un livre!
Pour le moment, le voyage intérieur de l’artiste continue, au gré de ses envies, de ses découvertes, de l’imprévu surtout! En refermant notre conversation, Patrick Dérible m’avoue qu’il se verrait très bien en train de faire quelque chose de complètement différent! Demain, dans un mois, dans un an, peu importe, pourvu qu’il y ait du nouveau!
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Je suis moi aussi née dans une Île francophone, où “l’air a des odeurs de sucre et de vanille” comme disait le poète, et j’ai beaucoup apprécié cet article et l’Artiste, qui s’intéresse à toutes les techniques d’Art, comme moi. Quel parcours, chez nous, on dirait que vous êtes un “Michel Morin” c’est-à -dire un artiste en tout genre…Bravo… !
Le rouge qui borde les barques est unique …Magnifique
C’est un portrait fort intéressant d’un artistes méconnu en Acadie maritime. Ses scènes maritimes sont rafraichissantes et renouvellent le genre.. Il serait bine de le voir à la FAFA à Caraquet bientôt?
Nicolas Landry
Université de Moncton
campus de Shippagan, N.-B.
Excellente idée à communiquer aux responsables du FAVA.
Françoise
Bonjour Nicolas, cette idée est séduisante. Mais que faire pour quelle ne reste pas qu’une idée ?