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libraire indépendant

Port de Shippagan

 

 

Se lancer dans la réalisation d’un rêve ou accomplir un tour de force, commence souvent très humblement. Ainsi, à la fin des années 80, Julien Cormier, natif de Shippagan, dans la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick, trouvait que son village manquait de livres. Étudiant en théâtre, il se disait aussi qu’il allait devoir se trouver un emploi un peu plus sûr que “les planches”… 

Devenir libraire indépendant

Julien se rend vite compte qu’à moins de vouloir être enseignant ou se faire pêcheur, il a meilleur compte de prendre son destin en mains tout seul. Soit! Il ouvrira une librairie. Comment devenir libraire à Shippagan? Il n’en a aucune idée mais il se dit que, pour ça, le mieux est d’aller rencontrer des libraires indépendants au Québec.

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Alors, au culot, il se présente à la libraire Hermès, à Montréal. Sa propriétaire, Elizabeth Marchaudon, sans nul doute conquise par la naïveté de Julien, le reçoit avec grande générosité et lui apprend le métier. Elle lui enseigne tous ses trucs et lui donne des habitudes qui ne le quitteront jamais. La réputation de Madame Marchaudon lui ouvre aussi des tas de portes qui seraient, on n’en doute pas, resté fermées à un petit gars de Shippagan armé de son seul rêve un peu fou.

Heureuse coïncidence

Julien rentre chez lui à peu près au moment où Isabelle Bonnin, quitte son Limousin pour l’Acadie. Elle pose ses valises chez sa sœur déjà installée dans la péninsule. Elle rencontre alors Julien, “fin prêt” (c’est toujours ce qu’on pense!) pour devenir libraire indépendant. “Je ne voulais pas vraiment me lancer tout seul dans l’aventure,” explique-t-il.

Ça tombe bien! Isabelle se cherche une occupation… Elle y trouve un emploi, la carrière de toute une vie et un conjoint.

Premier pignon sur rue

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Et c’est ainsi que le 17 juillet 1989, Isabelle et Julien ouvrent la libraire Pélagie, sur la rue principale à Shippagan. “Pélagie?” vous dites… Ça vous rappelle quelque chose? C’est l’héroïne du roman “Pélagie la Charette” de l’auteure acadienne, Antonine Maillet, Prix Goncourt 1979. Le nom est un coup de pouce de plus aux nouveaux libraires dans une Acadie qui se remet à peine de ce prix Goncourt attribué pour la toute première fois hors de France.

Les propriétaires refusent d’entrée de jeu d’avoir une librairie de grande distribution. Pélagie sera un libraire indépendant, pur et dur! Ils choisiront leur stock eux-mêmes, selon leurs goûts et les besoins de leur région.

Grande nouveauté dans le village

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Julien et Isabelle doivent se faire une clientèle auprès d’une population qui n’a jamais eu le bonheur d’avoir une librairie à proximité et qui hésite à pousser la porte.

Au début, les gens rentraient et parlaient tout bas comme s’ils étaient dans une bibliothèque

Et puis, pour rentabiliser l’entreprise, il faut aussi trouver d’autres clients, plus gros ceux-là: les écoles. Comme nous le disait déjà l’ami Alain Leblanc de la Librairie Matulu d’Edmundston, ce sont les commandes scolaires qui permettent à un libraire indépendant, en milieu minoritaire de surcroît, de se développer.

50% du chiffre d’affaires de Pélagie est réalisé de cette façon, mais Isabelle se lamente des remises forcées et des frais de poste qui leur enlèvent une grosse partie de leurs revenus. Au Québec, m’explique-t-elle, les institutions d’éducation ont obligation de faire affaire autour d’eux et d’acheter au prix de vente normal. Et Julien de rêver aux salaires qu’ils pourraient offrir à leurs employés si ce principe s’appliquait en Acadie!

Prendre de l’ampleur

Non contents de tenir leur librairie de Shippagan, Julien et Isabelle décident de se lancer dans une aventure tout aussi folle que la première: créer un salon du livre. À Shippagan! En octobre 2004, c’est la toute première édition du Salon du livre de la péninsule acadienne. Foi d’auteure, c’est un des plus dynamiques et agréables salons du livre au pays. Deux tiers des ouvrages qu’on y présente passent par la librairie Pélagie, une façon novatrice d’augmenter les ventes!

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Librairie Pélagie à Caraquet

Fort de ces succès, nos ambitieux libraires visent d’autres marchés francophones dans la région. En décembre 2007, ils ouvrent une seconde librairie Pélagie à Caraquet où la clientèle est pratiquement unilingue francophone.

En février 2011, c’est à Bathurst qu’ils s’installent. Logique, environ 50% de la population y est francophone.

Trois équipes dynamiques se dévouent dans chacune des succursales et, à Bathurst, fait inusité, l’employée est épaulée par une bénévole (oui! une bénévole!).

30 ans!

Maintenant, le salon du livre vole  depuis quelques années de ses propres ailes et voilà que Julien et Isabelle se retrouvent chefs d’entreprise de la plus plus grande librairie indépendante francophone au Nouveau-Brunswick!

30 bougies à souffler cette année. C’est un bon chiffre pour un bilan. Julien se lamente un peu: “Au lieu d’être le libraire que j’aurais voulu être, je suis un administrateur.” C’est la rançon, à la fois du succès et des petits budgets. Il faut bien s’occuper des commandes, de la gestion, des ventes, des livraisons et il ne reste plus de temps pour être derrière le comptoir et aux petits soins des clients. Heureusement leurs excellentes équipes, s’en chargent.

“Si c’était à refaire, on le referait”, m’assure Isabelle qui a bien conscience du rôle social et culturel de la librairie Pélagie dans la région. “Ça fait deux générations d’Acadiens nés avec une librairie à côté de chez eux, ça doit faire la différence.” On n’a pas de peine à le croire, Isabelle!

Un rêve inachevé?

Alors, lorsque pour conclure l’entretien, je leur demande s’il y a encore un rêve qu’ils aimeraient réaliser, Julien n’hésite pas un instant:

J’aurais voulu finir notre carrière en ouvrant une grande libraire à Dieppe

Logique! La ville de Dieppe, voisine de Moncton, regroupe la plus grande population acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick, pourtant elle n’a pas de grand libraire indépendant francophone comme les Archambault et Renaud-Bray du Québec. “On aurait 40 ans, on y serait” confirme Isabelle avec une passion, de toutes évidences, intacte.

Passer la main

Sages, Julien et Isabelle penseront bientôt à passer la main. À qui? Le défi reste entier mais, très honnêtement, je ne les ai pas sentis très pressés…

Il faudra trouver la perle rare. Dénicher un acheteur ou une acheteuse qui ait à la fois la passion littéraire de ses créateurs et la détermination légendaire de sa marraine Pélagie, elle qui ramena le peuple acadien chez lui, dans sa charrette, depuis la Géorgie!

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Françoise Enguehard

Native de Saint-Pierre et Miquelon, Françoise est établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis plus de quarante ans. Journaliste (anciennement à Radio-Canada, aujourd’hui chroniqueuse pour l’Acadie Nouvelle) , auteure reconnue, bénévole de la communauté francophone de l’Atlantique (Présidente de la Société Nationale de l’Acadie de 2006 à 2012 et de la Fondation Nationale de l’Acadie depuis 2014), elle connaît intimement la région de l’Heure de l’Est, ses gens et les défis qu’ils relèvent au quotidien. Femme d’affaires, elle dirige VIVAT Communications, une firme spécialisée dans la traduction et les communications.

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