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Caniques et boules de romequin, le recueil de souvenirs d’Henriette Bonin paru en 1984 vient d’être réédité par Mon Autre France. Une immersion dans la vie quotidienne du début du XXème siècle à Saint-Pierre, Saint-Pierre et Miquelon, magnifiquement illustrée dans cette nouvelle édition très réussie. À se procurer d’urgence ! 

On va lever le mystère tout de suite : Caniques est le nom local pour “billes”. Le romequin est un caramel que l’on étire longuement et que l’on coupe ensuite en une sorte de berlingot. On les appelle des “boules”. Au Canada on dit plutôt de la tire Sainte-Catherine, ça devrait rappeler des souvenirs à un certain nombre d’amateurs parmi les lecteurs de l’Heure de l’Est (la recette d’Henriette est à la fin du livre, si vous voulez essayer). Voilà, ça c’est dit. Je vous précise également qu’Henriette Bonin se trouve être la grand-mère de “notre” Françoise Enguehard de l’Heure de l’Est et c’est d’ailleurs Françoise qui a écrit la préface de la réédition.

couverture Caniques et boules de romequin Une enfance à Saint-Pierre et Miquelon

Caniques et boules de romequin, édition Mon Autre France

Il y a souvenirs et souvenirs.

On peut avoir traversé une aventure trépidante et/ou rocambolesque ou être l’objet d’un destin surprenant qui renseignera sur une page d’histoire humaine ou intime et ressentir le besoin de raconter.

On peut avoir enduré des épreuves difficiles, avoir cheminé au travers d’une vallée de larmes et chercher à exorciser le malheur par l’écriture.

On peut aussi, et c’est le cas d’Henriette Bonin, avoir vécu une jeunesse sans rebondissements spectaculaires mais éprouver le désir de composer une photographie de sa vie dans son contexte et de l’offrir au monde, pour mémoire. C’est ce qui fait tout l’intérêt de cet ouvrage; et c’est la raison pour laquelle j’ai adoré cette lecture.

Henriette Bonin n’est pas le sujet central de ses souvenirs même si ils sont écrits à la première personne. Usant d’une formidable mémoire elle compose un

décor et recrée un petit monde, la petite société de Saint-Pierre (sans Miquelon) dans les années 1910 – 1920.

Tour à tour au fil des chapitres, elle met en lumière les gens qu’elle côtoie au quotidien. Elle fait de même pour l’île de Saint-Pierre dont elle décrit l’environnement urbain et naturel. Tout compte fait, elle pose des couleurs sur les antiques photos d’archives de l’archipel. Au travers de ces pages les personnages s’animent et prennent vie. Les joues sont rouges et fraiches soumises aux vents de l’hiver, les dos sont fourbus par les cueillettes et les livres sont écornés à force d’être lus. Henriette Bonin donne du corps et de l’épaisseur à la petite histoire.

Le don d’observation

Née Henriette Gravé en 1899 à Saint-Pierre et Miquelon, brillante élève et jeune femme éduquée – comme elle ne manque pas de le souligner – c’est vers la fin de sa vie qu’Henriette Bonin écrit Caniques et Boules de romequin où elle revient sur les vingt premières années de son existence.

Le livre s’ouvre avec son tout premier souvenir de petite enfant. Il donne le ton :

Un rayon de soleil illumina soudain la chambre où, toute petite enfant, je jouais près de ma mère. C’était au début du siècle et c’est mon plus ancien souvenir.

caniques et boules de romequin au salon du livre de dieppe

Elle égraine ses souvenirs jusqu’au moment où, en 1919, en poste à Miquelon, elle fait la connaissance de son futur mari. Le lecteur ne le rencontrera qu’à la toute fin du livre et les laissera pour toujours patiner main dans la main sous le ciel d’hiver.

 

En 22 chapitres courts elle brosse des portraits, souvent amusés, de ses contemporains en revenant sur ses souvenirs d’écolière, de vie de famille, de copines à Saint-Pierre et Miquelon. C’est léger, très plaisant à lire, même dans les moments où on aurait pu attendre une certaine gravité. Seule son évocation de la vie des pêcheurs et des graviers lui donne, pendant quelques paragraphes, un ton plus retenu.

Le récit est chronologique. Henriette Bonin se permet pourtant quelques entorses au déroulé linéaire quand ses souvenirs remontent quelques fois comme des bulles d’air à la surface et tant pis si la chronologie est malmenée, ce qui importe c’est le témoignage;

Chaque année, au printemps, un paquebot amenait passagers, courriers, conserves, confitures, fromages et, pour celles qui pouvaient se les payer, toilettes et chapeaux. Il était attendu, ce paquebot, aussi impatiemment que le printemps lui-même.”

Photo archive Saint-Pierre et Miquelon Une enfance à Saint-Pierre et Miquelon

C’était forcément un dimanche … source grandcolombier.com

À plusieurs moments, j’ai pensé à La Gloire de Mon Père, de Marcel Pagnol, ou aux Quatre Filles du Docteur March, pour le cadre féminin dans lequel Henriette évolue.

Caniques et boules de romequin en serait une version locale, plus modeste et sans prétention, mais on retrouve les mêmes motivations:

  • l’envie de décrire un lieu et une ambiance avec précision.  Henriette Bonin, autorité intellectuelle dans l’archipel se pose en témoin fiable d’une époque vécue et vise à devenir, sans que nul ne puisse le contester jamais, un témoin de son temps pour les générations futures. Sa motivation est d’abord de transmettre.
  • l’intérêt pour les menus détails du quotidien et tout leur charme. A travers eux redonner vie à ceux et celles dont on ne parle pas quand on évoque le passé, les Madame et Monsieur Toutlemonde du Saint-Pierre des années 1910-1920.

illustration caniques et boules de romequin Une enfance à Saint-Pierre et Miquelon

Une enfance à Saint-Pierre et Miquelon en 1899 – 1919, à La Belle Époque

Un peu après l’Europe qui a connu l’insouciance jusqu’au premier conflit mondial, les premières décennies du XXème siècle à Saint-Pierre sont, pour Henriette et ses copines, des années où “les jours se succédaient, heureux et sans soucis”. Certes, on parle politique; on est pour ou contre les tout-puissants Légasse;  mais on attend aussi les navires qui arrivent enfin et avec eux, belles toilettes et beaux chapeaux, ainsi que tonneaux de pommes et victuailles de France. Le tout émaillé de petits éclats de malice ressurgis d’une mémoire qui n’effaçait rien :

Une autre femme, anglaise d’origine, dont le fils était au front, s’informait constamment auprès de tous : “Quelles nouvelles de guerre aujourd’hui ?” Il y a à Saint-Pierre beaucoup de personnes qui se nomment Daguerre, aussi un jour une de ses compatriotes se méprit :

– “Quel Deguerre, Fane ?

_ De guerre ous qu’y s’bettent.”

[…] Un passant malicieux les entendit et “De guerre ous qu’y s’bettent” fit bientôt le tour du pays.

Les compositions françaises, les dictées sans fautes, un magnifique plumier orné d’une Jeanne d’Arc gardant “ses blancs moutons” mais aussi, ses lectures de la Comtesse de Ségur qui devaient immanquablement la faire voyager dans un monde totalement inconnu d’une petite Saint-Pierraise. Un monde où certes on cueille des fruits mûrs sur des arbres, mais où on ne connait pas la bière de spruce ni les civets de lapin importés par les Newfoundlanders en échange de quelques cents.

Une chose est sure, Henriette ne donne pas l’impression de s’être sentie à l’étroit à Saint-Pierre.

photos hiver caniques et boules de romequin SAint-Pierre et Miquelon

Sous la neige, un hiver à Saint-Pierre et Miquelon. Photo Amédée Bréhier

D’une famille modeste elle sait, et elle le répète, qu’elle a eu la chance d’avoir une éducation solide, on comprend qu’elle place l’éducation au sommet de ses valeurs. Elle lui a conféré le vénérable statut de maîtresse d’école. Henriette Bonin en a éprouvé de la gratitude toute sa vie, on le lit entre les lignes de ses souvenirs. D’autres n’ont pas eu cette possibilité, elle le sait.

Et puis, on n’est pas si différent, finalement. 120 ans plus tard, on s’aperçoit qu’on apprécie toujours la chaleur d’une cuisine où l’on s’affaire ensemble. Les odeurs de confiture de graines, les pique-niques … Les enfants aiment toujours les bonbons et les petites filles recherchent toujours la compagnie de leurs pairs.

C’est un livre empreint de bonne humeur et sans aucune autre prétention que de garder vivante la mémoire de la vie quotidienne dans l’archipel au tout début du 20eme siècle. La petite histoire, le quotidien des gens simples, les menus plaisirs … voilà ce qui fait ce recueil qu’on lit avec beaucoup de plaisir.

 

Vous pouvez vous procurer cet ouvrage et ainsi que les autres livres édités par Mon Autre France (et que nous vous recommandons chaudement), rendez-vous sur le site de monautrefrance.com ou à Saint-Pierre et Miquelon à la Librairie Lecturama. Pour les autres points de vente, contactez la maison d’édition.

 

Patricia Detcheverry

Après 10 ans en régie publicitaire, je me suis lancée dans l'hôtellerie et j'ai vécu (encore) 10 ans au rythme des saisons touristiques. Freelance depuis 2017 j'allie mon regard de femme de l'Atlantique et mes compétences en communication pour faire connaitre ma région. Ce que j'aime par dessus tout ? Faire découvrir les petits endroits paumés où personne ne va, les petites routes ignorées, les bouts du monde et les gens, toujours les gens !

3 Comments

  • gaudet jean j dit :

    Bravo Patricia ! – c’était à ne pas pouvoir s’arrêter de lire ton résumé-évaluation des billes et des boules … J’espère que La Grande-Ourse de Dieppe en aura des copies. — Jean J Gaudet .

  • René Enguehard dit :

    Bravo Patricia pour cette présentation de Caniques et boules de romequin. Il fallait une personne comme toi pleine de sensibilité pour présenter ce bijou d’écriture. Nous sommes gâtés d’avoir des personnes passionnées, pour nous présenter, nous rappeler, nous décrire notre monde francophone et le disséminer sur la grande toile de l’univers informatique. On aime et on apprécie votre curiosité

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