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À l’ère des satellites, de l’Internet et de la 5G, on pourrait facilement oublier qu’une grande partie de nos liens dépendent encore grandement, partout sur notre planète, de câbles sous-marins.

Notre région a d’ailleurs été le théâtre de la grande aventure du câble transatlantique au milieu des années 1800 – un exploit double, vous allez le voir.

Via Cap Race

L’été dernier, je vous racontais l’histoire du Cap Race, à Terre-Neuve, premier point de contact de tout navire transatlantique en route pour le continent américain. Et je vous racontais l’idée géniale de Associated Press pour recevoir des nouvelles d’Europe plus rapidement et les acheminer jusqu’à New-York, par le télégraphe, avec la mention Via Cap race.

Cette fois je vous emmène à Heart’s Content, Terre-Neuve, découvrir la suite de la prodigieuse aventure du câble sous-marine, car la nature humaine est ainsi qu’elle veut toujours plus et mieux et que, malgré des déconvenues, on continuait à rêver à relier définitivement et presqu’en temps réel, l’ancien et le nouveau monde.

câbles sous-marins

Station du câble à Heart’s Content, TN

Histoire du câble sous-marin

Pour permettre les communications entre l’Europe et l’Amérique,  il faut trouver un moyen de poser des câbles sous-marins – facile à dire! – ce qui nécessite le développement de matériaux nouveaux pour, à la fois réaliser ces câbles et les protéger de l’eau, du froid et de la corrosion.

En 1842, Samuel Morse – oui, celui qui a inventé le code du même nom – réussit à installer un câble sous le port de New-York, prouvant ainsi que le concept de câble sous-marin est faisable. Il ne reste plus qu’à faire la même chose avec des milliers de kilomètres de câbles sous l’océan Atlantique!

En 1856, une ligne télégraphique est établie entre Saint-Jean de Terre-Neuve et New-York et elle comprend une section de câble sous le Détroit de Cabot. Le coût est pharaonique: 1million et demi de dollars de l’époque! Mais là encore, ça marche.

 

 

Premiers essais

Si on sait maintenant comment réaliser le câble pour qu’il résiste et dure, un grand défi demeure pour la pose d’un câble entre l’Europe et le continent américain: la longueur de câble requis et son poids! Pas un navire n’est capable de porter une telle charge.

L’Anglo-American Telegraph Company, décide alors de contourner le problème en posant le câble en deux sections: en 1857 le USS Niagara quitte la rive américaine tandis que le HMS Aggamemnon quitte l’Irlande. Les deux navires se rencontrent au milieu de l’Atlantique. On rattache les deux sections. C’est un échec.

Qu’à cela ne tienne, on recommence en 1858, de la même manière, depuis Valentia en Irlande et Bull Arm dans la baie de Trinité à Terre-Neuve. Ça marche trois semaines et puis … silence radio.

Tout cela coûte très cher, tellement d’ailleurs qu’on aurait compris les investisseurs de baisser les bras. Pas du tout!

Un paquebot à la rescousse

En cette même année 1858, on lance sur la Tamise le plus gros paquebot du monde, le Great Eastern. Il est si grand qu’on le met à l’eau par le côté parce qu’il s’avère trop long pour la largeur du fleuve!

Avec ses six voiles, ses deux roues à aube et son hélice, le navire conçu pour 4000 passagers peut, en plus, emporter assez de charbon pour traverser l’Atlantique sans s’approvisionner.

(Si vous voulez en savoir plus sur ce navire, lisez donc Une ville flottante de Jules Verne. L’intrigue se passe sur le Great Eastern, sur lequel l’illustre auteur lui-même avait effectué une traversée transatlantique).

Reste le détail qui tue: le navire est si mauvais à la mer qu’il rend ses passagers malades.

Cependant, TOUT le câble sous-marin, soit un poids de 4600 tonnes, peut tenir dans ses cales!

Le Great Eastern est racheté par les promoteurs du projet de câble transatlantique et il entame alors sa nouvelle vie de câblier.

Un premier câble, anglais

câbles sous marins

Et on recommence!

Le 13 juillet 1866, le câble, à terre en Irlande, est rattaché au câble sur le Great Eastern qui entame alors sa traversée de l’Atlantique.

Deux semaines plus tard, le 27 juillet 1866, à 10h30 du matin, dans le port de Heart’s Content à Terre-Neuve (endroit choisi pour la profondeur du port, indispensable pour accueillir le navire), le Great Eastern annonce qu’il vient de couper son câble et qu’on peut le descendre pour le rattacher à la section à terre.

À 16 heures ce même jour, la station en Irlande communique pour la première fois avec celle de Heart’s Content.

Le tour des Français

L’exploit de l’Anglo-American Telegraph Company ne passe pas inaperçu! Et – question de souveraineté nationale – la France veut son propre câble transatlantique vers l’Amérique.

Le 6 juillet 1868 le gouvernement français accorde une concession pour relier directement la France aux Etats-Unis via Saint Pierre et Miquelon pour éviter un atterrissement en territoire britannique. Le câble doit être en service le 1er septembre 1869 au plus tard.

Note de l’auteur: pour un regard exhaustif et technique sur la pose du câble, on ne saurait trop vous conseiller ce document de Michel Balannec, un passionné, que nous remercions de son aide.

La Compagnie du câble transatlantique français affrète le Great Eastern. Le câble part de Doléon, non loin de Brest, et arrive,  le 12 juillet 1869, à l’anse à Pierre, à Saint-Pierre et Miquelon.

En ce jour de juillet 1869, ce n’est pas vers le quai que se dirige la foule. Elle escalade les collines et se répand sur le petit sentier qui mène à l’anse à Pierre. C’est là, en effet, que le Great Eastern posera une des extrémités du câble transatlantique qui, de Brest à Saint-Pierre, reliera l’Europe à l’Amérique. Des photos sont prises. Malheureusement, la journée est brumeuse, les clichés ne sont pas bons. Et c’est dommage car nous aurions une image exacte de la société saint-pierraise de ce temps. Le lendemain, l’empereur Naopléon III et le Président des États-Unis échangent les premiers messages télégraphiques officiels entre les deux continents.

( Henriette Bonin, “Saint-Pierre et Miquelon”, Éditions Leméac,1970)

Trois vapeurs :   le Cory, le Scandinavia et le Chiltern posent la section Saint Pierre – Duxbury (Cap Cod) près de Boston. C’est fait.

Les opérations

À Saint-Pierre et Miquelon comme à Terre-Neuve, l’arrivée des communications via le câble transatlantique signifie un essor économique.câbles sous-marins

câbles sous-marinsÀ Heart’s Content, par exemple, le câble emploie à son apogée, quelque 200 personnes (dans une communauté de 1500 âmes). La compagnie de câble construit des logements, une école.

Une aristocratie s’installe: on y joue au tennis et au criquet et les employés gagnent bien leur vie, surtout les femmes télégraphistes qui gagnent en général plus que les hommes à cause de leur rapidité et de l’exactitude de leur travail.

Note de l’auteur: Pour plus de détails sur l’histoire de la station télégraphique de Saint-Pierre et Miquelon, on peut lire sur le site de nos amis de Grandcolombier.com , “Histoire des câbles sous-marins à Saint-Pierre et Miquelon” , de Mathurin Lehors, écrit dans les années 1950 lorsqu’il en était le directeur. 

Le service de communications par câble est particulièrement important durant la Première Guerre, puis son importance diminue. À Heart’s Content, par exemple, à la fin de 1921, le trafic ne représente plus que 25% du volume de télégrammes envoyés durant la guerre.

Dans les années 1960, dépassée par les avancées technologiques, la page de la télégraphie par câble se tourne définitivement.

Le câble sous-marin, lui, est là pour rester.

 

(Vous utilisez Pinterest? Merci d’épingler)

Françoise Enguehard

Native de Saint-Pierre et Miquelon, Françoise est établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis plus de quarante ans. Journaliste (anciennement à Radio-Canada, aujourd’hui chroniqueuse pour l’Acadie Nouvelle) , auteure reconnue, bénévole de la communauté francophone de l’Atlantique (Présidente de la Société Nationale de l’Acadie de 2006 à 2012 et de la Fondation Nationale de l’Acadie depuis 2014), elle connaît intimement la région de l’Heure de l’Est, ses gens et les défis qu’ils relèvent au quotidien. Femme d’affaires, elle dirige VIVAT Communications, une firme spécialisée dans la traduction et les communications.

4 Comments

  • Gilou dit :

    Le commentaire de Robert Richard de 2021, rejoint un commentaire que j’ai laissé en 2023 pour un autre article. Vous avez à l’Heure de l’Est de très belles photos qui illustrent le début de vos articles, mais il manque parfois à ces photos une légende.
    En tout cas cette histoire de câble avec le fameux paquebot “Le Great Eastern” est passionnante. Et le lien avec Jules Verne est fameux !
    Merci Françoise d’avoir fourni dans votre réponse, les renseignements voulus.

  • Robert Richard dit :

    Bonjour, Très intéressant, je croyais que toutes les communications se faisaient par satellite. Sur le dessin en tête de l’article, quels sont les éléments descriptifs, comme le lieu, l’auteur, la date et le lieu de conservation? Je le trouve très beau. Merci.

    • Françoise Enguehard dit :

      Bonjour, vous n’êtes pas le seul à penser que toutes les communications se font par satellite, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que mon fils, ingénieur informatique, m’explique qu’il faut bien que la fibre optique circule. En effet!!

      Pour ce qui est de la peinture, voici les détails fournis par la responsable du site historique de la station de Heart’s Content: “La peinture est de Robert Dudley. Elle a été réalisée en 1866 pour le compte du London Illustrated News qui l’avait engagé pour illustrer la pose du cable transatlantique tout au long du trajet du Great Eastern sur lequel il avait embarqué en Europe. Il a produit une séries de peinture qui est maintenant abritée dans la station de Heart’s Content. Cette peinture en particulier était à Saint-Jean de Terre-Neuve jusqu’en 2016.”
      Pour information, une recherche “Robert Dudley, cable transatlantique” vous permettra de voir son travail dans son ensemble.

      Merci de nous lire,
      Françoise

  • Lucie LeBouthillier dit :

    Quelle histoire fascinante et que je connaissais peu, le câble transatlantique. Merci Françoise de nous avoir fait découvrir ce joyau de notre patrimoine atlantique.

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