On parle souvent de patrimoine bâti, imaginez donc quand on décide de broder son histoire, toute son histoire!
C’est le pari relevé par la communauté de Conche sur la Péninsule Nord de Terre-Neuve et deux artistes Terre-Neuviens. C’est une initiative qui remonte à 2004 et qui a donné à cette partie de la province et de la Côte Française un unique fleuron artistique et patrimonial.
La petite histoire de la tapisserie du French Shore
En 2004, la province de Terre-Neuve-et-Labrador célébrait l’anniversaire des 400 ans de la fondation de l’Acadie et 500 ans de présence française sur ses côtes. À Conche – village de 250 âmes environ, ce détail a son importance vu ce qui suit! – on ouvrit, un centre d’interprétation de l’histoire française (avec une exposition permanente bilingue sur l’histoire de la pêche à la morue) et une résidence d’artiste. C’est Jean-Claude Roy, peintre d’origine française installé de longue date à Terre-Neuve qui l’inaugura en s’y installant avec son épouse Christina. Très vite, les femmes de la communauté remarquèrent que Christina brodait, une activité très courante autrefois à Conche mais qui n’avait pas été transmise (ou très peu). Les talents de Christina éveillèrent donc quelque chose chez ces femmes qui cherchaient à valoriser leur patrimoine.
De fil en aiguilles (le jeu de mots est facile, je sais!) Christina se mit à évoquer un projet de broderie sur l’histoire du French Shore et prit en exemple la tapisserie de Bayeux. Comme le centre d’interprétation de Conche avait un partenariat avec le musée du Vieux Granville et l’Éco-musée de l’Île de Groix, les responsables de la Société historique du French Shore avaient l’occasion de se rendre en France. Une visite à Bayeux fut donc organisée.
Si les responsables de Conche se montrèrent très impressionnées par la tapisserie racontant les exploits de Guillaume le Conquérant, elles firent tout de même remarquer qu’il leur faudrait en broder une plus longue pour pouvoir raconter toute l’histoire de leur province et de leur région!
Même pas peur!
Dès leur retour à Conche, elles se mirent à concrétiser le projet! Il fallut non seulement trouver du financement pour entreprendre une telle aventure mais aussi décider des éléments historiques à inclure sur cette fresque ce qui donna lieu à beaucoup de consultations et de réflexion.
Ensuite Jean-Claude Roy, l’artiste, se mit au travail pour interpréter ces éléments dans un style évocateur de la tapisserie de Bayeux; chaque fois qu’un tableau était terminé, c’est sa femme Christina qui se chargeait de transposer le dessin en broderie, de choisir les couleurs, de rédiger les instructions de broderie et d’envoyer le tout aux responsables du projet à Conche (les Roy ayant quitté le village à la fin de l’été 2004).
Mais comment passer d’un dessin à une broderie quand on ne dispose pas de brodeuses ou de brodeurs professionnels, ni de connaissances sur le matériel à utiliser et même pas de métier à broder? On apprend et on s’arrange, voilà tout! Renseignements pris auprès de professionnels, on choisit la toile et la laine et on chargea un menuisier local, Gerald Chaytor, de construire un métier, ce qu’il fit en s’y reprenant plusieurs fois pour répondre aux exigences du projet.
Cette première étape finie, on projeta les dessins sur la toile à l’aide d’un rétroprojecteur et tout le monde se mit au travail.
Sur le métier, cent fois, remettez votre ouvrage…
Au début, explique Joan Simmonds, les brodeuses avaient tellement de mal qu’à chaque fois qu’elles piquaient leur aiguille sur la toile, elles s’accroupissaient aussitôt sous la table pour réceptionner l’aiguille et la mettre dans le trou suivant. Et puis, il fallait veiller à ce que tout le monde brode le même point, inspiré du point de Bayeux, sans aucune variation, afin de garantir l’unité de l’oeuvre tout en suivant les indications et les couleurs choisies.
13 brodeuses principales ont travaillé au projet, mais les organisateurs se sont aussi assurés d’impliquer toute la communauté. Ainsi certains panneaux ont été réalisés par les enfants de l’école de Conche et par d’autres résidents, tandis que des bancs installés dans la salle de broderie, permettaient aux curieux de passer un moment auprès des artisans, de commenter tel ou tel tableau et d’offrir leurs souvenirs et leurs histoires.
La tapisserie du French Shore est un tour de force
En 2009, 36 mois plus tard, après 20 000 heures de travail, la tapisserie était finie: 72 mètres de long (2 de plus que celle de Bayeux), racontant l’histoire de Terre-Neuve-et-Labrador, de la création du monde à aujourd’hui.
“Comment expose-ton une oeuvre de cette longueur?” vous demandez-vous? Excellente question! Les premières années (voir la photo à droite), la tapisserie serpentait dans toutes les pièces du centre d’interprétation mais elle dispose aujourd’hui de sa propre salle pour bien la mettre en valeur.
Qualifiée d’oeuvre patrimoniale majeure pour la province, la tapisserie du French Shore est exposée dans le Centre d’interprétation à Conche.
Ai-je vraiment besoin de vous dire qu’elle vaut, à elle seule, le détour?
Conche, Terre-Neuve
Nous avons eu le plaisir de visiter le Centre de la Francophonie à Conche en Août 2007 à l’heure où les (presque) derniers points de coutures étaient apportés à la tapisserie. Mon épouse et sa soeur faisaient la connaissance de leur cousine Joan Simmonds conservatrice du Musée et de ses parents. La grand-mère de Lynn (orpheline de père) avait dû laisser son petit patelin à l’âge de 12 ans pour venir s’établir à Gambo et malheureusement n’est jamais retournée à Conche – Cette tapisserie est un vrai chef d’oeuvre et mérite le détour.
C’est une pure merverveille, j’ai hâte de la revoir dans son nouveau local.
Génial, je vais évidemment partager !