Après plusieurs tentatives pour aller à la pêche aux pétoncles, je suis finalement partie en mer avec le capitaine Daniel Godin et ses hommes d’équipage, Maxime et Robert. Benjamin, le fils du capitaine, est également de la partie et, du haut de ses douze ans, il semble déjà déterminé à prendre la relève de son père.
Pêche aux pétoncles : un matériel surprenant
Le départ se fait du quai de Ste-Marie-St-Raphaël dès 4h du matin, bien avant le lever du soleil.
Après une heure de navigation, les choses commencent à s’activer. Ce qui ressemblait pour moi à un amas de ferraille de chaque côté du pont est déployé à l’aide d’un treuil dans un bruit de chaîne et de moteur.
Je n’ai jamais rien vu de tel. Ça ressemble à des instruments archaïques sortis tout droit du Moyen-Âge.
Ces paniers, soutenus à de grosses chaînes, sont immergés de chaque côté du bateau qui avance tranquillement à une vitesse de deux nœuds (3.7km/h).
Pendant environ 45 minutes, les dragues vont racler le fond marin à une profondeur d’environ 18 brasses (108 pieds/33 mètres) sur 1.5 mile nautique (2.8km), avant d’être remontées avec leur chargement de pétoncles, de pierres, d’oursins, de concombres de mer et d’étoiles de mer.
Ces dernières sont les principales prédatrices du pétoncle, me dit-on.
Après la remontée des dragues, le tri débute
Les hommes d’équipage tirent les paniers au-dessus des tables situées de part et d’autre du pont où leur contenu se déverse. Une fois délestés, les engins replongent dans la mer et le tri commence pendant que le bateau continue à sillonner la mer.
Les pétoncles mesurant plus de 3 ¼ po (8cm) sont placés dans des grands bacs, il y en a plus ou moins 300 par table. Maxime et Robert commencent alors à ouvrir les mollusques au même rythme effréné que la musique rock qui jouera sans arrêt durant toute la journée.
Le jeune Benjamin tente de suivre et il se débrouille bien.
Ce n’est pas la première fois que l’apprenti-pêcheur s’exerce à l’art de manier le couteau. Le couteau courbé ouvre la coquille et sépare le muscle (ou la noix) du corail qui est rejeté à la mer au grand bonheur des goélands et des fous de Bassan.
Dans certains pays, le pétoncle est commercialisé dans sa coquille mais ici, le marché est uniquement pour sa noix.
À la pêche aux pétoncles, il n’y a pas de répit.
Après avoir ouvert 300 pétoncles en vingt minutes, on les rince à l’eau de mer et on met le tout dans des sacs de coton qu’on dépose précieusement dans une glacière. Les tables de tri sont ensuite soulevées et tout ce qui s’y trouve retourne à la mer.
À peine quelques minutes plus tard, les dragues sont soulevées à nouveau et le rituel recommence.
Dans une journée de 15 heures (excluant l’aller-retour au quai), les deux dragues sont déchargées une quinzaine de fois.
Une bonne pêche représente de 150 à 200lb (68 à 90kg) de chair de pétoncles, sans les coquilles.
Les hommes d’équipage ouvrent donc jusqu’à 3000 pétoncles chacun, ce qui est particulièrement exigeant et impressionnant. Tout se passe sur le bateau, de la récolte au produit fini. Même les engins de pêche sont ramenés à chaque voyage.
J’ai goûté un pétoncle cru, sorti directement de son écrin, un véritable délice au goût légèrement sucré et iodé.
On peut apprêter le pétoncle en céviché, mais sur le pont du bateau, aucun ajout n’est nécessaire à la dégustation.
Je réalise à quel point ce produit d’exception n’arrive pas sans effort dans nos assiettes.
Il est le fruit d’un dur labeur.
Après 17 heures en mer …
… je me demande comment font ces hommes pour se plier à cet horaire jour après jour.
Le permis accorde quarante-deux jours de pêche consécutifs sur une période de trois mois (de mai à août).
Les jours d’arrêt comptent comme des jours de pêche, il n’y a donc personne qui se rend à la limite du temps alloué.
En moyenne, on pêche le pétoncle une vingtaine de journées par saison.
Dans notre secteur du golfe du Saint-Laurent, il n’y avait qu’un autre dragueur. De moins en moins de pêcheurs s’adonnent à cette pêche si astreignante.
De retour au quai
je me prends 5 livres (2,5kg) de pétoncles et je rentre chez moi dans la nuit avec mon trésor.
Le lendemain midi, je délecte avec bonheur les pétoncles les plus frais de ma vie.
Ce pur régal, je l’apprécie à sa juste valeur :
celle de ces travailleurs de la mer qui mettent tout leur cœur à l’ouvrage pour nous rapporter des aliments d’une exceptionnelle qualité.