La pêche au flétan est une véritable course. Autorisée une seule journée par année (le 12 juillet cette fois-ci), elle s’étend sur quatorze heures, de 5h à 19h. J’avais rendez-vous avec l’équipage du Liam & Cole sur le quai de Caraquet à 3h30, question de se rendre en mer et d’être prêts à jeter les lignes à l’eau à 5h pile.
Le capitaine Gaston Albert, sa conjointe Marjolaine, sa fille Maggie-Jolène et les deux hommes de pont, Daniel et Richard sont tous assez fébriles. La nuit a été courte, personne n’a suffisamment dormi, le « trac du flétan » les a tenus éveillés. Moi aussi!
À peine arrivé au site de pêche au milieu de la Baie des Chaleurs, l’équipage s’active sur le pont. On attache les ancres qui retiennent les lignes au fond de l’eau et les bouées qui indiquent leur emplacement. On prépare les 100 premiers crocs espacés aux 18 pieds (5,5 m) sur deux lignes de 1 800 pieds (573 m). Comme le soleil se lève à 5h30, les préparatifs se déroulent de nuit sous les lumières du bateau.
En guise de bouette, on pique du maquereau à chacun des hameçons. Gaston et son équipage en avaient pêché en prévision de cette longue journée de pêche. Si on fait un calcul bien simple, ça prend environ une heure à jeter et relever les deux lignes donc, sur une durée de quatorze heures, on appâte 1400 crocs. Ça prend un minimum de 700 maquereaux qui sont coupés en deux pour attirer le flétan.
Des cœurs bien accrochés
Il faut aimer son métier pour manipuler du maquereau dégoulinant à 4h30 le matin.
Pourtant, personne ne s’en plaint, surtout pas moi qui suis absolument fascinée par ce décor. Les cordes sont bien roulées et les crocs sont accrochés sur une tige en forme de caniveau. Pendant que le bateau avance tranquillement, Daniel lance la première ancre et les bouées à l’eau, ce qui entraîne le glissement de tous les crocs qui plongent un à un dans la mer à un rythme parfaitement régulier. Quand la ligne a fini de se dérouler, il lance la deuxième ancre et les deux autres bouées pour stabiliser le tout. On se déplace ensuite pour jeter la deuxième ligne selon la même logique et on revient tirer la première.
Dès le début, le bar rayé s’impose. On en remonte cinq ou six et même plus à chaque ligne, qu’il faut remettre à l’eau vivant.
Au cours de la journée, on en a certainement capturé deux cents. Ça devient décourageant.
Une pêche chirurgicale
Le flétan se fait beaucoup plus rare : on en a capturé deux au-dessus de la taille minimale de 33.5 pouces (85cm) et un trop petit, qu’on a remis à l’eau.
Après 10h, plus aucun flétan ne s’est manifesté, et l’équipage a poursuivi son travail pendant plusieurs heures sans succès.
La pêche au flétan demande une manipulation constante de crocs bien piquants. Le rituel est précis car les risques de blessures sont bien réels. Daniel opère le treuil qui remonte les crocs un à un. Il doit interrompre le moteur régulièrement pour démêler le fil qui retient l’hameçon à la ligne principale. Il tend ensuite le croc à Maggie qui remplace la bouette et le tend à Marjolaine, qui le tend à Richard qui lui l’accroche à la glissière. On se croirait dans une salle d’opération tellement ces gestes sont posés avec précision. Bien sûr, on porte une grande attention aux cordages pour ne pas qu’ils s’emmêlent.
Flétan, où es-tu ?
Inlassablement, durant toute la durée de la pêche, on appâte les crocs dans l’espoir qu’un flétan mordra à l’hameçon. Ça demande beaucoup de patience, surtout quand le poisson se fait rare. On sillonne la mer, toujours à la recherche du meilleur endroit pour jeter les lignes. Sur la fréquence radio des pêcheurs, on sent une certaine déception. Quelques équipages ont fait bonne pêche allant jusqu’à capturer quatorze flétans dont un d’environ 6 pieds (2 m). D’autres sont toujours bredouilles. Sur le Liam & Cole, on se considère chanceux d’en avoir tout de même attrapé deux.
La pêche au flétan, comme toutes les pêches, n’offre aucune garantie. On part tôt le matin dans l’espoir de rentabiliser sa journée. Parfois, le défi est relevé, d’autres fois, on est déficitaire. Ce sont les aléas du métier.
Nous revenons au quai, escortés par les goélands qui ont bien profité des restants de maquereau. Rendu au port, il faut faire peser les flétans et enregistrer les prises pour les registres.
Debout depuis 2h, je suis de retour chez moi à 20h. J’ai ma semaine dans le corps et c’est juste lundi.
Je m’endors très tôt, heureuse de cette nouvelle expérience et reconnaissante d’avoir été témoin de cette pêche aussi rare qu’exigeante.
Cet article fait l’objet d’une série de reportages signés de la photographe Julie D’Amour-Léger et consacré aux pêches traditionnelles de notre région. Lisez aussi :
- la pêche au crabe des neiges
- la pêche au homard
- la pêche au saumon
- la pêche au maquereau (à venir)
Merci de nous partager cette aventure de la pêche aux flétans. On comprend mieux pourquoi ce poisson qui est devenu rare coûte si cher. Une ressource qui malheureusement, j’imagine, on a réussi à pratiquement épuiser.
Très bon article. Bon rythme, belles photos.
France D.