Maryse Lavigne et Brian Légère sont en train de réaliser leur rêve: travailler la terre, dans leur coin de pays, dans la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick, comme leurs ancêtres avant eux, et créer un terroir. Mais ce qui peut sembler simple, ne l’est pas du tout!
Pour s’y attaquer, il faut une vision non-conventionnelle de ce que représente “la réussite”, un goût immodéré pour le travail, manuel entre autres, de l’entêtement, de la patience, du doigté et des ressources financières. Surtout lorsqu’on considère que, juste à côté de leurs champs, soumis aux aléas de la météo, des supermarchés de plus en plus imposants vendent des montagnes de fruits et légumes venus de partout au monde et à des prix défiant toute concurrence.
Il en faudrait davantage pour rebuter ce jeune couple qui a créé de toutes pièces la Ferme Nikkal, sur le bord de l’autoroute, à Pokemouche (Nouveau-Brunswick). La ferme n’est pas encore certifiée biologique – le processus coûterait trop cher pour l’instant – mais les propriétaires l’ont baptisée “ferme bio-logique”, c’est à dire qu’ils cultivent de façon saine, sans engrais chimiques, sans pesticides, fongicides et autres “cides” qui empoisonnent les sols et les produits qui en sortent. Et les clients ne s’y trompent pas tant ils sont ravis d’avoir “des vrais légumes”.
Ni l’un ni l’autre n’ont de formation agricole, ils ont développé leur ferme avec du bon sens, de la documentation et des coups de main, sûrs d’y trouver leur bonheur et désireux de vivre selon leurs principes.
Autrefois, on cultivait son lopin de terre, on élevait des animaux et on vivait, comme on pouvait, de ce qu’on produisait; aujourd’hui, Maryse a un emploi trois jours par semaine, hors de l’exploitation, pour assurer le revenu du couple et, l’hiver, Brian part travailler “dans l’Ouest”, dans les champs pétroliers de l’Alberta, où on gagne gros.
C’est d’ailleurs, comme ça que tout a commencé: “Je cherchais une façon d’investir mon argent”, explique Brian. La majorité des jeunes qui se trouvent dans cette même situation s’achètent un camion, une maison, une moto-neige ou un véhicule tout terrain, Brian, lui, a opté pour une terre sur laquelle, avec Maryse, il a construit une modeste maison pré-fabriquée, (durant la construction, il a même campé dans la remise pour surveiller le chantier!) avant de se lancer dans les cultures maraîchères.
Lorsque j’ai visité la ferme, à la fin juillet, fraises, haricots (“cosses” en Acadie), mesclun, salades, courges pâtisson, radis, betteraves, chou-rave, étaient déjà disponibles et garnissaient les quelque 22 paniers hebdomadaires auxquels sont abonnés autant de familles de la région. La composition du panier, d’une valeur de 25 dollars, change toutes les semaines selon ce qui est prêt à être consommé. Ainsi, se sont ajoutés, depuis ma visite, courgettes, bettes à carde, oignon vert, micro-pousses (pois, tournesol, kholrabi), pois mange-tout, chou kale. La fierté d’être responsable de la saine alimentation de ces familles, est au cœur même de ce que le jeune couple désire accomplir.
“Le gros de notre travail, c’est d’enseigner aux gens ce qui pousse ici et qu’on peut manger de bons produits locaux.”
En plus des paniers hebdomadaires, le couple a ouvert un stand sur le bord de la route et se rend chaque semaine au marché de Shippagan, pas loin de chez eux, pour proposer leurs produits. Les affaires vont bien, même s’il faut souvent présenter aux gens certains des légumes qui garnissent leur étal avant qu’ils ne se décident à acheter “pour essayer”.
Petit à petit, la ferme prend son essor. Pour l’instant, Maryse et Brian font tout le travail seuls, sans employés, simplement avec l’aide de quelques dévoués bénévoles. Il faut avoir toute l’énergie de la jeunesse pour s’épanouir avec une telle charge de travail et envisager la suite: tous deux voient plus loin que leurs primeurs maraîchères. Ils ont déjà des poules et envisagent, à terme, d’agrandir leur exploitation pour produire du porc de pâturage, voire d’autres “bêtes à cornes” pour le lait et la viande. Ce qui les freinent, pour l’instant? Il n’y a pas d’abattoir dans la péninsule acadienne. Mais ça pourrait bien changer…
En effet, petit à petit, d’autres jeunes de la région décident de se tourner vers le secteur agro-alimentaire et pour les mêmes raisons: pour pouvoir vivre de leurs mains, chez eux, sans partir vers l’Ouest ou vers les villes de Moncton ou Dieppe, pour créer, ensemble, de la richesse et des emplois hors des secteurs traditionnels que sont la pêche ou la foresterie. Par fierté aussi et par désir de trouver un équilibre entre environnement, travail et vie personnelle.
La meilleure manière de donner un coup de pouce à cette jeunesse entreprenante et qui s’investit un peu partout dans la région de l’Heure de l’Est, c’est encore d’acheter local.