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Les côtes de l’île de Terre-Neuve ont été occupées par des pêcheurs français, depuis 1504 (au moins) et sporadiquement, jusqu’à l’Entente Cordiale de 1904. Un des endroits favoris de ces courageux Bretons, Normands et Basques sur ce qu’on a communément appelé le French Shore  était Le Petit Nord, situé sur la côte est de la Péninsule Nord de l’Île.

Petit Nord de Terre-Neuve

Extrait du Pilote de Terre-Neuve, 1754

Il faut le savoir, la pêche et la production de morue salée était autrefois un enjeu économique majeur pour la France et pour l’Angleterre. Les droits de pêche français sur ces côtes (je vous passe les détails des divers traités, âprement négociés, sur le sujet,) faisaient donc l’objet d’une haute surveillance des deux nations.

Une station navale française

C’est ainsi que dès 1640, le Parlement de Rennes choisit le havre du Croc pour l’inscription de ses navires. Après 1816 et la fin des guerres napoléoniennes, le Croc devint la base d’opérations de la Division navale française à Terre-Neuve. Tous les printemps, un navire de la Marine Nationale arrivait pour surveiller le bon déroulement de la saison de pêche. Le havre était très abrité, le terrain propice à quelques jardins et enclos pour les bestiaux amenés de France et il y avait abondance d’eau douce. De avril à la fin septembre, une partie de l’équipage restait à terre pour cultiver les jardins et s’occuper des bêtes pendant que le navire arpentait la région pour s’assurer que rien n’entravait le travail des milliers de pêcheurs français disséminés le long des côtes.

 

Un cimetière marin

Cimetière marin

Cimetière du Croc (Photo: Claude Forrer)

Un jour, on ne sait pas exactement quand, il fallut ajouter aux diverses installations de la Division navale un cimetière pour accueillir les naufragés et autres défunts de cette station du bout du monde. Aux 18ème et 19ème siècles il y avait plusieurs cimetières de ce genre le long des 15 000 kilomètres de côte de l’île de Terre-Neuve, aujourd’hui, seul celui du Croc est encore visible et, mieux encore, mis en valeur.

Ciemtière marin

L’équipage de l’Aventure dans le cimetière du Croc, 1956 (Photo: Claude Forrer)

Lorsque les Français occupaient le havre du Croc, il n’y avait qu’eux sur place et lorsqu’ils partirent définitivement, en 1904, le cimetière était promis à l’abandon. Cependant, les navires d’assistance à la pêche française sur les Grands Bancs – l’Aventure, la Ville d’Ys et le Commandant Bourdais prirent le relais, s’arrêtant de temps à autres, pour s’occuper du cimetière jusqu’à ce que, eux aussi, quittent définitivement les eaux canadiennes, en 1973, avec l’arrivée de la zone économique exclusive de 200 miles.

Du Croc à Croque

Dans les années 1960, le gouvernement de Terre-Neuve força sa population à abandonner des centaines de villages trop isolés pour se regrouper dans des communautés plus accessibles. C’est ainsi que les habitants de l’île de Groix  et de Saint-Julien (oui, vous avez bien lu, comme en France!), vinrent s’installer au havre du Croc qu’ils eurent vite fait de rebaptiser Croque. Aujourd’hui ce sont les gens du village qui, fièrement, entretiennent le cimetière, tondant amoureusement le gazon et donnant un coup de peinture aux treize croix et à la petite palissade qu’ils ont construit eux-même pour bien délimiter le cimetière, devenu d’ailleurs une attraction touristique importante.

Des résidents mystérieux

Cimetière marin

Le cimetière du Croc aujourd’hui

Mais qui sont ces malheureux qui reposent dans le cimetière? On sait qu’il y a là des marins français et trois anglais dont deux se sont noyés dans la rivière voisine. Mais des dix tombes françaises une seule porte un nom: il s’agit de Édouard Villaret de Joyeuse décédé en mer en juillet 1854 et promptement enterré au Croc. Les autres défunts demeurent des anonymes, un mystère qui perturbe les résidents.  Dans le cadre des célébrations de 500 ans de présence française à Terre-Neuve-et-Labrador, en 2004, de gros efforts ont été entrepris pour tenter de trouver les noms de ces marins, sans succès. Par contre, dans une de ces grandes ironies du sort, on a découvert que l’unique sépulture portant un nom – celle de Villaret de Joyeuse -, est en fait vide, le corps de ce dernier ayant été rapatrié en France … en 1855!

En 2005, l’Ambassadeur de France au Canada, Monsieur Daniel Jouanneau, s’est rendu au cimetière du Croc pour une cérémonie particulièrement émouvante. En préparation de ce voyage, l’Ambassadeur fit demander aux résidents ce qu’ils aimeraient que la France leur offre pour les remercier du soin qu’ils apportaient à ses défunts marins. “Un drapeau français”, firent-ils répondre, “pour qu’on puisse au moins, faire flotter les couleurs de la France dans le cimetière”.

J’étais là lorsque le drapeau fut hissé au mât ce jour-là. J’ai vu les résidents de Croque pleurer en voyant le tricolore se déployer dans le ciel de leur village. À ce que je sache, tous les étés, il continue de flotter tout à côté de ce cimetière tout à fait unique dans notre région, témoin poignant de la riche histoire de la pêche française à Terre-Neuve.

L’endroit vaut le détour, tout comme les communautés avoisinantes de Les Grandes Oies (aujourd’hui Grandois) et tout spécialement le village de Conche où vous attend un centre d’interprétation historique qui offre aux visiteurs une superbe exposition bilingue sur la pêche à la morue et une extraordinaire tapisserie de style Bayeux (mais ça, je vous en parlerai plus en détails bientôt!).

Comment s’y rendre?

 

 

 

 

Françoise Enguehard

Native de Saint-Pierre et Miquelon, Françoise est établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis plus de quarante ans. Journaliste (anciennement à Radio-Canada, aujourd’hui chroniqueuse pour l’Acadie Nouvelle) , auteure reconnue, bénévole de la communauté francophone de l’Atlantique (Présidente de la Société Nationale de l’Acadie de 2006 à 2012 et de la Fondation Nationale de l’Acadie depuis 2014), elle connaît intimement la région de l’Heure de l’Est, ses gens et les défis qu’ils relèvent au quotidien. Femme d’affaires, elle dirige VIVAT Communications, une firme spécialisée dans la traduction et les communications.

3 Comments

  • Ces histoires de vies sont magnifiques! Elles temoignent de l’engagement et de l’attachement de ces pêcheurs à cette terre est américaine. Elle montre aussi la dureté de la vie des Terre neuvas qu’un marin de St Valery en Cau m’a raconté car une partie de sa carrière s’est faite dans cette pêche à la morue.
    Merci de ces publications extraordinaires.

  • Philippe Devoghel dit :

    J’ai un arrière grand-père, pécheur dunkerquoi qui a disparu lors d’une campag’e dans les années 1860 je cherche a savoir si il est enterré sur terreneuve szchant qu’il est mort sur un bâteau de maladie
    Son nom :Monthaye
    Je n’ai hélas s pas beaucoup d’autres infos
    D’avance merci
    Philippe Devoghel

    • Françoise Enguehard dit :

      Bonjour Philippe, C’est un peu mince pour vous aider à retrouver sa trace. Si il est mort en mer, sur les Grands Bancs, il a sûrement été mis à la mer. Si vous avez le nom du navire sur lequel il naviguait et son port d’attache, vous devriez pouvoir trouver le rôle d’équipage du navire dans les archives de l’endroit et, théoriquement, à côté de son nom et des détails le concernant (nom de ses père et mère, sa taille, la couleur des yeux, son domicile ainsi que sa part de poisson et sa contribution aux Invalides de la Marine!) devrait apparaître la mention “mort à Terre-Neuve” et peut-être? l’endroit. Dans le cimetière du Croc (dans mon article) on ne trouve que des officiers de Marine et on ne sait même pas le nom de ceux qui y reposent. Merci, en tous les cas, de votre intérêt dans notre magazine et tenez-nous au courant de vos recherches! Françoise

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