Julie D’Amour-Léger, photographe de la Péninsule Acadienne au Nouveau-Brunswick, est l’auteure d’un dossier complet sur les pêches dans la région Atlantique mis en ligne dans l’Heure de l’Est. Ce reportage sur la pêche au thon est le onzième et dernier article de la série.
Quand on part à la pêche au thon, on ne sait pas si le poisson va mordre, ni à quelle heure on va revenir au quai.
Lors de ma première expérience en octobre 2021, le départ s’est fait à 17h et le retour à 9h30 le lendemain matin, sans capture. Un aiguillat (petit requin) avait causé une certaine excitation à bord en mordant à l’hameçon mais il a vite été relâché. C’était tout de même impressionnant.
À bord du Baby Doll VI
Au début septembre cette année, les frères James et John Stewart, m’ont accueillie à bord du Baby Doll VI pour une deuxième tentative. Le nom émoustillant du bateau vient de son ancien propriétaire, me dit le capitaine James, sourire en coin. Un autre pêcheur, Raymond Lanteigne, complète l’équipage.
Chaque capture exige un permis et les pêcheurs offrent leurs services à son détenteur, Charles Roy dans ce cas-ci, qui doit être à bord selon le règlement. Nous accompagne aussi Olivier Gagnon, un vidéaste qui propose des capsules vidéo sur sa chaîne YouTube.
On quitte le quai de Miscou vers 17h30 et la soirée s’annonce magnifique. Après quelques minutes de navigation, les pêcheurs s’activent à prendre du maquereau qui servira d’appât. Le maquereau n’est pas très abondant, la pêche commerciale en a même été interdite cette année, et la quinzaine de prises sera utilisée avec parcimonie.
« Les temps sont durs », soupire John. La nuit tombe tranquillement et après un magnifique coucher de soleil, la pleine lune se lève et brille sur la mer. C’est quasiment romantique!
Une nuit en pleine mer
Les loups-marins viennent dérober sournoisement nos pauvres maquereaux au bout de leur ligne. Le thon se fait attendre. Les heures s’égrènent, je commence à douter mais je me tiens coite. Et voilà que vers minuit, la canne à pêche se courbe dangereusement : plus de doute possible, un thon vient de mordre à l’hameçon!
Le combat s’engage et durera deux heures trois minutes exactement.
Sous le phare du bateau, la ligne d’un rouge éclatant est bien tendue. Les pêcheurs se remplacent au moulinet avec style et savoir-faire. Il faut tirer et freiner la ligne sans la relâcher car le poisson pourrait profiter du mou pour plonger et la casser, même si elle peut supporter 300 livres de pression.
Le thon rouge de l’Atlantique est un animal à sang chaud pouvant atteindre 70km/h à la nage et plonger jusqu’à 1000 mètres dans les eaux chaudes. La zone de pêche au large de Miscou n’est pas aussi profonde et la mer est plutôt froide, mais le risque de perdre la prise est toujours grand.
Le thon ne sera visible qu’à la toute fin du combat, quand il aura épuisé ses forces. Il est tiré vers le flanc du bateau où on l’attache soigneusement avant de le saigner.
340 kilos !
Un treuil est nécessaire pour le monter à bord et la pesée indique 340kg. C’en est un gros! J’admire ce roi des mers, si noble et magnifique, brillant dans la nuit. Quand il est étendu, John m’invite à le toucher sur la tête. Il est bien mort. Je le caresse doucement, étonnée par sa douceur. Une émotion m’envahit.
On prépare le thon directement sur le bateau pour préserver la qualité de la chair. Ces étapes sont effectuées avec le respect que l’on doit à notre nourriture et à ce poisson majestueux.
De toutes mes sorties en mer, seule la pêche au thon m’a fait entrevoir ce contact entre les pêcheurs et un poisson unique, ce qui m’a tout de même interpellée. Les autres pêches misent sur la quantité, le rapport n’est donc pas le même. Il en est ainsi, et je suis reconnaissante envers mes pêcheurs de leur approche toujours respectueuse.
Même s’il est 3h du matin au Nouveau-Brunswick, on doit livrer le thon au quai de Grande-Rivière, en Gaspésie, où se trouve notre client.
Il est 2h du matin au Québec et les services portuaires n’ouvrent qu’à 7h30. La nuit va être longue, encore une fois, mais cette nouvelle aventure de pêche vaut bien une nuit blanche!