Au début juillet, j’ai eu le privilège d’aller à la pêche au saumon sur un affluent nord de la rivière Miramichi, au centre du Nouveau-Brunswick, avec ma sœur Lise et Gary Anderson, son mari. Gary pratique la pêche à la mouche depuis son adolescence et il a tôt fait d’y initier ma sœur quand ils se sont rencontrés, il y a une petite… quarantaine d’années. Ils sont beaux à voir : avec leurs cuissardes, ils marchent dans l’eau jusqu’à la taille et escaladent les rochers. Un bâton de marche complète leur attirail en guise de sécurité.
L’embranchement de la rivière auquel nous avons accès pendant trois jours fait partie des eaux réservées de la Couronne.
La pêche au saumon : une pratique très réglementée
Il faut s’inscrire auprès du Ministère des Ressources naturelles et Développement de l’énergie et espérer remporter le tirage. Gary et Lise ont eu la chance d’être les premiers de la saison à pêcher à cet endroit qu’ils connaissent bien car ils participent à cette loterie chaque année. Et pour cause!
La rivière est majestueuse, avec ses cascades déferlantes et ses fosses tranquilles où le saumon se repose avant de remonter les flots. C’est là que les pêcheurs lancent inlassablement leur ligne dans l’espoir d’en attraper un. Pendant notre séjour, Lise et Gary en ont pris quatre chacun, et j’ai réussi à photographier un saumon qui saute. Tout le monde est content.
Depuis une bonne quinzaine d’années, tous les saumons doivent être remis à l’eau et pour ce qui est de la truite, il y a beaucoup de restrictions. Les hameçons n’ont donc plus de crocs, ce qui permet de décrocher le saumon sans l’abimer quand il ne se libère pas de lui-même. On pêche donc pour le plaisir, au cœur de ce paysage à la beauté sans âge.
L’art de la pêche à la mouche
Bien qu’il ait visité des endroits magnifiques, Gary apprécie particulièrement la rivière Miramichi qu’il côtoie quotidiennement. Il fabrique lui-même ses mouches qui semblent toutes avoir différentes particularités. Certaines sont enduites de silicone pour flotter sur l’eau alors que d’autres sont immergées et dérivent entre deux eaux. Il y a donc deux types de pêche à la mouche que se partage le couple : lui pêche à la mouche sèche, qui demande une attention constante, alors qu’elle favorise la mouche noyée, qui lui permet de laisser dériver ses pensées en même temps son hameçon. La pêche à la mouche est un art dont la maîtrise n’a d’égal que la beauté du geste.
Je savais Gary grand pêcheur mais Lise m’a impressionnée. Son lancer est précis et la mouche « vole » une bonne distance avant de plonger. Elle prend un plaisir évident à partager du temps de qualité avec son mari en pratiquant ce loisir qu’ils ont en commun. Ils sont tous deux absorbés par la pêche, dans une complicité tacite qui les unit dans ce temps suspendu. Une fine pluie tombe parfois mais rien ne trouble la quiétude des mordus de la pêche.
Et le saumon, dans tout ça ?
Le saumon de l’Atlantique voyage de longues distances, environ 6000 km dont près de 900 km en rivière. Il part du Groenland et arrive au printemps à la rivière où il est né pour s’y reproduire. Il est très sensible à la température de l’eau et n’hésite pas à se déplacer pour atteindre les degrés qui lui conviennent. Il fait escale dans des fosses où il reprend ses forces avant de remonter la rivière durant tout l’été. Ce poisson extraordinaire est pourtant menacé par le réchauffement climatique et aussi par les fermes d’élevage en mer dont les saumons s’échappent et contaminent les espèces sauvages. Lise et Gary ne mangent plus de saumon depuis longtemps car ils s’objectent complètement à cette industrie. Seuls les bassins d’élevage sur terre devraient, selon eux, être permis.
Le soir venu …
Après la pêche, nous revenons à notre cabine partager un repas pas compliqué accompagné de bon vin. Source intarissable d’anecdotes de pêche et de chasse, Gary nous en raconte les moments les plus marquants. Il a frôlé la noyade, rencontré une multitude de gens de différents pays et pénétré des lieux éloignés de toute civilisation. Quand les attentats du 11 septembre 2001 ont eu lieu, il ne l’a su que quatre jours plus tard. C’est dire ! La soirée se termine tôt, une autre journée de pêche nous attend le lendemain. On se brosse les dents à la rivière, on passe à la bécosse et on déroule nos sacs de couchage dans l’obscurité naissante. Et bonne nuit!
Et au milieu coule une rivière
Le jour suivant, en empruntant le sentier qui longe la Miramichi, je pense aux premiers habitants qui ont foulé cette terre bien avant l’arrivée des Européens. La pêche en rivière, contrairement à la pêche sur mer, est aussi une expérience terrestre. Les falaises qui bordent la rivière sont couvertes de lichen, de conifères et de plantes dont on se demande comment elles font pour pousser là (surtout quand ça fait trois fois qu’on sème ses haricots dans son propre potager sans grand succès). Cette nature sauvage et majestueuse baigne dans un environnement sonore composé du bruit ininterrompu de la rivière et du chant des oiseaux. Lise et Gary reprennent leur rituel dans la splendeur du petit matin, faisant siffler leur ligne à intervalle régulier. Il ne reste que quelques heures avant le départ, on en profite au maximum.
Sans électricité, ni internet, ni téléphone pendant trois jours, cette oasis de paix est un lieu véritable d’évasion et de méditation. Je reviens à la civilisation avec un pincement au cœur mais trop heureuse d’avoir vécu cette nouvelle expérience. Je m’inspirerai dorénavant de la force du saumon qui remonte le courant pour affronter les défis courants de la vie.