J'enfile mon kit de pêche :
bottes de caoutchouc salopette imperméable veste flottante gants chauffants tuque foulard ... et mon appareil photo
Julie d’Amour-Léger, auteure de cet article, n’est pas une inconnue pour les lecteurs de l’Heure de l’Est. Il y a quelques mois, Françoise vous la présentait dans son article “Le regard émerveillé de la photographe Julie d’Amour-Léger“. Elle nous revient en tant que contributrice suite à un saisissant voyage sur un bateau de pêche au départ de Caraquet, NB.
Toutes les photos qui illustrent cet article sont également le fruit de son travail.
Pour la première fois cette année, la pêche au crabe a débuté au début avril, presqu’un mois plus tôt qu’habituellement. La température était favorable à cette décision qui vise surtout à éviter la fermeture des zones de pêche en raison des baleines noires. Cette ouverture hâtive répond à la volonté de l’industrie mais pour moi, elle signifie une difficulté supplémentaire. En début de printemps, le vent et le froid sont souvent de la partie. Je vérifie la météo plusieurs fois par jour et je constate qu’une fenêtre de trois jours de beau temps ne se présente pas souvent. Heureusement, le capitaine Joël Gionet, qui a accepté de me prendre à bord, est à l’affût du meilleur moment pour m’embarquer. On se parle régulièrement. Je ne veux surtout pas que la saison de pêche se termine sans avoir pu y aller! Cette attente me fait toutefois réaliser à quel point les travailleurs de la mer sont courageux. Le printemps est rigoureux, froid, pluvieux, parfois neigeux et surtout, venteux. Je regarde la baie de Caraquet s’agiter juste devant chez moi et je me dis qu’en haute mer, ce doit être tout autre chose.
En attente d’une fenêtre météo favorable
C’est donc le 9 mai que je suis finalement partie, aussi prête que je pouvais l’être mais tout à fait consciente de mes limites. Le jour du départ, ça brassait pas mal mais le vent devait graduellement diminuer durant la nuit. Ayant quitté le quai de Caraquet à 13h, la levée des casiers a débuté vers 4h le lendemain matin, à 120 milles nautiques de notre point de départ, entre les Îles-de-la-Madeleine et l’Île-du-Prince-Édouard. Le calme était revenu et le soleil s’est levé comme un roi sur son royaume aquatique. La journée s’annonce des plus belles!
J’enfile donc mon kit de pêche : bottes de caoutchouc, salopette imperméable, veste flottante et encombrante mais rassurante, gants chauffants, tuque et foulard. Qui a dit que l’habit ne fait pas le moine? J’attrape mon appareil photo et je me retrouve sur le pont, pas très solide sur mes jambes, pour prendre mes premières photos de cette fascinante pêche au crabe.
Les quatre membres d’équipage, Carlo, André, Denis et Réjean, pêchent ensemble depuis plus de vingt ans sur le Carlo G. Certains depuis plus longtemps encore. Le rituel est bien assimilé, tout se déroule rondement. Les casiers sont tirés à bord avec un treuil qui les place au-dessus d’une table amovible. Elle se soulève pour la répartition des crabes, ceux de bonne dimension sont envoyés dans la cale et les petits sont rejetés à la mer. Les crabes femelles étant trop petits, seuls les crabes mâles sont commercialisés ce qui aide à préserver la ressource.
Connaissez-vous le crabe des neiges ?
Selon “Le guide des Espèces” :
Le crabe des neiges fait penser à une grosse araignée. Sa carapace est d’un brun orangé sur le dos, le ventre est crème. En plus de sa paire de fortes pinces, il possède quatre paires de longues pattes de section ovale. Des trois espèces de crabe des neiges pêchées dans le monde, l’opilio est la plus importante. Ses pêcheries s’étalent de la mer de Bering au golfe d’Alaska et sur toute la côte Pacifique nord. On le trouve également en Atlantique nord, du Maine à l’estuaire du Saint Laurent et jusqu’à l’ouest du Groenland.
La pêche au crabe : un casier après l’autre
Après le tri, la table redescend jusqu’au prochain casier. Je cherche les meilleurs angles pour capter toutes les étapes qui se répéteront inlassablement cent cinquante fois. Je suis particulièrement fascinée par le casier qui surgit de la mer. Je le devine sous l’eau, forme abstraite qui me rappelle une énorme méduse. Quand il est propulsé hors de l’eau, une énergie extraordinaire se dégage de cette cage d’où l’eau s’écoule avec fracas laissant apparaître le trésor qu’elle contient : entre cent et deux cents crabes des neiges qui s’agrippent aux mailles de leur prison. Le panier est dirigé au-dessus de la table où on laisse tomber tous les crustacés. Avant de le rejeter à l’eau, on y insère des pochettes de harengs qui serviront de bouette pour la prochaine fois.
Entre chaque levée, le bateau se déplace en suivant la ligne de casiers. Chaque ligne, identifiée par une bouée, en comporte une quinzaine. Le capitaine se dirige à l’aide de radars où toutes les données sont affichées. La technologie fait maintenant partie intégrante du secteur des pêches et fera bientôt une nouvelle percée afin de permettre la pêche au crabe sans cordage quand les baleines s’invitent dans la zone de pêche. L’expertise est en place, il ne reste qu’à l’expérimenter. Le Carlo G. est muni de ce nouvel équipement et son capitaine espère pouvoir le tester avant la fin de la saison.
Fin du voyage et presque fin de la campagne de pêche au crabe
La pêche au crabe a été très bonne cette année pour l’équipage du Carlo G. Lors de leurs premières sorties, la cale se remplissait bien avant la levée des cent cinquante casiers. Maintenant que la saison tire à sa fin, ils doivent tous être levés pour maximiser le voyage. Après avoir vidé cent-trente cages de leur contenu prometteur, le bateau se dirige vers d’autres lignes situées à une vingtaine de milles nautiques sur le chemin du retour. Nous y arrivons vers 20h30, juste à temps pour le coucher du soleil.
Cette seconde étape se déroule dans l’atmosphère particulière d’une fin de journée sur l’eau. Le crépuscule s’étire en teintes orangées qui se reflètent sur la mer tandis que les goélands, attirés par les phares du bateau, volent tout autour en lâchant quelques cris. C’est l’heure magique et je me sens particulièrement privilégiée d’être là, au milieu de la mer à perte de vue. La pêche se poursuit calmement, le même rituel s’enchaîne d’une levée de casier à une autre et pourtant, tout semble différent. Je continue à prendre des photos qui seront nimbées d’un certain mystère car la nuit sur l’eau porte à l’imaginaire.
Après une journée de pêche, du lever au coucher du soleil, le bateau se dirige tranquillement vers son port d’attache avec plus de 20 000 livres de crabe des neiges à bord. Je m’endors, bercée par la mer, avec ma cargaison de photographies que j’ai bien hâte de découvrir. Je suis reconnaissante envers l’équipage du Carlo G. qui m’a permis de vivre cette expérience inoubliable mais je suis aussi reconnaissante envers la vie qui est toujours plus étonnante qu’on le pense.
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