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Même en hiver, à Saint-Pierre et Miquelon les rivages sont toujours fréquentés. Les anses sont généreuses : les pêcheurs d’oursins et les ramasseurs de goémon s’y côtoient dès que le temps et la marée le permettent. 

Alors voici une bouffée d’air iodé pour nos lecteurs confinés.

Un héritage breton

Des seaux pleins à déborder d’algues brunes mêlées à du sable. Les cueilleurs plient un peu sous le poids de leur récolte, ils remontent vers leur camionnette, garée en haut du plain, le panneau de la cuve est baissé prêt à accueillir le goémon. Les “voyages” vont se succéder jusqu’à l’accumulation de plusieurs tonnes dans le jardin.

C’est une activité sans âge : la mer charrie les algues. Immuable. Les gens les récoltent et les répandent dans leur potager, elles aideront à fertiliser la terre et permettront une meilleure récolte à la prochaine saison. Et c’est ainsi depuis … toujours. L’usage, amené ici par les premiers habitants de l’archipel, est très répandu en Bretagne. Une habitude  qui a traversé l’Atlantique sans difficulté, héritage des traditions maritimes de nos régions d’origine.

pile de goemon Saint-Pierre et Miquelon

Du goémon à Ravenel, Crédit photo HDE

À l’époque où le terme “valorisation” n’existait pas, on tirait partie de tout ce qui était disponible pour améliorer la subsistance. Avoir un beau jardin qui rapporte bien, ce n’était pas accessoire.  Aujourd’hui, au 21ème siècle, comme une disposition innée, les jardiniers continuent à ramasser le goémon venu s’échouer sur le plain. Un atavisme qui réapparait chaque année, réveillé par les tempêtes, les vagues brunâtres chargées de laminaires et l’odeur persistante qui envahit les anses comme Ravenel, l’Allumette ou Iñachi.

“Il est recommandé de prendre son temps et de ne pas se presser à aller récupérer les algues dès le premier coup de vent. Car en général le goémon est moins riche en oligo-éléments, minéraux et calcium. L’idéal est d’attendre qu’on ait les échouages liés au cycle, donc à la fin de la végétation”. C’est le conseil de Frank Urtizbéréa, un de nos spécialistes locaux, qui a eu la gentillesse d’éclairer ma lanterne (d’Aristote ! … il faut être un fidèle de l’Heure de l’Est pour comprendre) au sujet du goémon et de ses usages.

récolte du goémon à Saint-Pierre et Miquelon

Une belle récolte en perspective ! A Saint-Pierre, au Diamant.
Crédit photo : HDE

Du “mesclun” pour les jardins

gros plan d'une poignée de goémon dans une main.

Le mesclun des jardins. Crédit photo HDE

 

Les algues qu’on retrouve dans les potagers et les parterres à fleurs sont extraites d’un gisement qui se reforme chaque année, dès l’automne. Des tas bruns et odorants qui s’amoncellent au fur et à mesure des coups de vent. En fin de saison estivale, c’est aussi l’automne sous l’eau. Certaines algues “tombent”, comme les feuilles des arbres, et d’autres sont arrachées par la force des vagues.
Voilà pourquoi, les littoraux soumis aux vents dominants se recouvrent d’algues en automne. Certaines anses sont alors tapissées de ces piles bordeaux-brun : le goémon. Cadeau fait par la mer aux terriens jardiniers.

Mais de quoi est-il composé, ce goémon ?

“Il s’agit d’un bouillon d’algues en fait. On peut y trouver la saccharine, la laminaire digitée, la laitue de mer, le fucus, la dilsea, la coralline officinale, le lacet de mer, l’Ascophylle noueuse, des algues brunes filamenteuses, le wakame, la laminaire criblée” détaille Frank.

Pas besoin d’embarcation pour s’en aller chercher cette salade bourrée de minéraux et d’oligo-éléments. Juste une camionnette, quelquefois une petite” remorque”, des seaux, ou une brouette.
Une fourche et beaucoup d’huile de coude.

Dans le dos des ramasseurs, la mer fait rouler les galets, les phoques n’en perdent pas une miette et le froid est maintenu à distance par l’activité physique intense. On apprécie sa tasse de thé au lait une fois rentré à la maison !

Du goémon en masse

La ressource semble inépuisable, elle est en tout cas largement suffisante pour les besoins des habitants de l’archipel. Pendant trois ou quatre mois, les vagues continuent à grossir les amoncellements de goémon, à chacun d’aller se servir. Et c’est une chance. Le goémon n’est pas un fertilisant extraordinairement riche : “Comparé à des fientes animales on est à un ratio 10 fois inférieur… Donc il est important, notamment quand tu fais de la culture de laitue, courgette, courge… etc… qui sont plus gourmandes en azote, d’apporter un complément animal ou compost”, précise Frank.

Ici, on en dispose à profusion, donc on peut se rattraper sur la quantité.

“Du goémon, il y en faut une bonne épaisseur. Entre 30 et 40 cm sur toute la surface du jardin. Ça fait plusieurs voyages ! L’idéal, quand c’est possible, c’est d’ajouter du fumier de cheval par dessus”, explique Marie, jardinière Saint-Pierraise.

Malheureusement, l’activité a beau être traditionnelle et d’apparence 100 % durable, elle est impactée par les maux de notre temps :

“Le goémon n’a pas que des avantages ! Il y a sa pauvreté engraissante mais qui est compensée par la quantité disponible. Mais son problème majeur vient du plastique ! En effet ce dont on parle pour les océans ( le 7e continent) est vrai pour chez nous comme pour les autres ! Le goémon draine des particules de plastique, voire fixe dans son métabolisme le plastique, et donc le réinjecte dans le jardin lors de sa décomposition !” se désole Frank

 

Et dans la région ?

la récolte du goémon à Saint-Pierre et Miquelon

La récolte du goémon au Diamant en novembre 2018
Crédit Photo HDE

Le goémon sert uniquement d’engrais à Saint-Pierre et Miquelon, c’est son seul usage dans nos îles. On n’utilise que les algues arrachées par la mer, nous ne les cueillons pas vivantes. Peut-être devrions-nous le faire ! pas très loin, en Nouvelle-Ecosse, Les Algues Acadiennes sont le premier producteur mondial de produits à base d’algues. Hé oui ! …

Cette récolte du goémon épave qui est pratiquée comme une évidence à Saint-Pierre et Miquelon ne semble pas être aussi régionale qu’on pourrait l’imaginer.

Après avoir interrogé plusieurs de mes amis en Atlantique, le seul à encore pratiquer la récolte du goémon régulièrement est Dany des Iles-de-la-Madeleine.

Il semble que pour l’Ile du Prince-Edouard, La Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve, le goémon n’est plus beaucoup récolté de façon récréative, comme nous le faisons ic. Plus beaucoup, ça ne veut pas dire “plus du tout” alors si vous le faites vous-même ou si vous connaissez des personnes qui récoltent annuellement le goémon pour leur jardin, dites-le nous !

 

 

Patricia Detcheverry

Après 10 ans en régie publicitaire, je me suis lancée dans l'hôtellerie et j'ai vécu (encore) 10 ans au rythme des saisons touristiques. Freelance depuis 2017 j'allie mon regard de femme de l'Atlantique et mes compétences en communication pour faire connaitre ma région. Ce que j'aime par dessus tout ? Faire découvrir les petits endroits paumés où personne ne va, les petites routes ignorées, les bouts du monde et les gens, toujours les gens !

14 Comments

  • Patrick Dérible dit :

    Bel article, beau style, bravo

  • Gilou dit :

    A Cherbourg (Normandie / France), au début des années 1960 quand j’étais enfant, on ramassait du goémon (qu’on appelait plutôt varech) et on le vendait aux maraichers de la région pour fertiliser leurs terres. Comme matériel on avait besoin notamment d’une carriole pour transporter le varech jusqu’à la plage. Avec l’argent gagné, on nous offrait un voyage (mais on n’allait pas loin).
    L’ article de Patricia me rappelle bien des souvenirs (surtout ceux de la carriole. C’est le grand-père qui dirigeait la manoeuvre : pendant qu’une équipe poussait, une autre tirait avec des cordes ; on était une dizaine de gamins à participer à l’opération).

  • Lise Hélie dit :

    Bonjour, je suis heureuse de vous lire régulièrement, moi qui aie passé 20 ans en Acadie.

    Ça me donne comme vous le dites si bien “une bouffée d’air frais venu du large!”

    À propos de la récolte du goémon, les gens de Bas-Caraquet pratiquait cette coutume lorsque je suis arrivée
    en 1977. Je l’ai donc essayé moi-même pour mon jardin. Je n’ai pas continué cette épandage car

    premièrement, c’est très désagréable lorsqu’on travaille la terre; les algues restent enchevêtrés autour des

    doigts et de la gratte à sarcler et ça m’exaspérait. Deuxièmement, ce n’est pas un très bon engrais: je n’ai à

    peu près rien récolté cette année là. Je demeure maintenant en Alberta. Lise Hélie

  • Drapeau Thérèse dit :

    Super cet article Patricia! J’ignorais que le goémon était à son tour pollué par le plastique, c’est probablement irréversible était donné la quantité de ces matières déversées dans les océans depuis des décennies. Bien triste tout ça. Mais de l’utiliser comme fertilisant à l’échelle locale, c’est vraiment très bien!

  • Cognet Françoise dit :

    De Bretagne, je vous félicite pour vos thématiques et pour votre style très dynamisant

  • fleury gerard dit :

    votre rubrique est très instructive et intéressante, merci

  • Richard Lavoie dit :

    Très bon et fort intéressant texte que je m’empresse de transmettre sur mon Facebook. Et merci.

    Richard Lavoie, ethnologue
    Montmagny (Québec)

  • Denis Poirier dit :

    Plusieurs jardiniers utilise encore la “laize” (Goémon) comme on l’appelle par chez-nous ! Cela dit je vais vérifier à Val-Comeau s’il en a afin de l’épandre sur mon jardin !!!

    J’ai été attiré par l’article a cause du titre et le mot Goémon … on l’a souvent chanter dans la chanson Joe Frederic de Donat Lacroix (https://www.youtube.com/watch?v=JQFM8Ya7_r4) … et ce mot m’avais toujours intrigué car je n’était pas certain de sa signification !!!

    Donc merci Patricia de m’avoir enrichie avec cette publication!

    Bonne journée
    Denis P

  • Marie Mespoulet dit :

    Bonjour Patricia,

    Comme ca fait du bien, comme c’est tonic ce reportage, bravooooooo.

    Je suis sur Paris, pas de jardin que du béton, mais je rêve toujours de venir faire quelque chose de bien chez vous, j’espère un jour.

    Effectivement le plastique doit être un gros problème. Je suis toujours en colère car je fais très attention de trier mes déchets mais je suis effondrée de voir qu’il y a du plastique dans les estomacs des oiseaux marins et les poissons, c’est désespérant.

    Merci beaucoup pour les articles
    Marie

    • Patricia Detcheverry dit :

      Merci Marie, tout ce qu’on peut faire c’est être très précautionneux. Qui pourrait penser que quelque chose qui parait aussi sain et naturel que du goémon puisse transporter des particules de plastique ? …

  • Jean francois Nicol dit :

    en bretagne il est de plus en plus valorisé comme les autres algues ! Il fut un temps ou le goemon ramassé etait mis à sécher sur les greves en motte , puis bruler pour en extraire la soude utile à l industrie .On trouve encore dans le Finistere ces mottes de goemon mises à sécher et aussi des restes de four à goemon .Quelques pécheurs sont aussi spécialisés pour l’arrachage des algues en mer ; les bateaux étant équipes d un scoubidou permettant ces récoltes
    J-FNICOL

  • Tournevache Marie line dit :

    Quand on vit loin de la mer,ça fait du bien cette petite bouffée iodée,merci !!!

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