C’était au temps lointain où la messe de minuit de Noël commençait vraiment à minuit, heure magique saluée par le “Minuit Chrétien” entonné par le plus brave et talentueux des ténors de la chorale. C’était au temps lointain où dans bien des foyers de Saint-Pierre et Miquelon, on faisait réveillon une fois la messe finie, vers 1h30 du matin, pour sortir de table “à pas d’heure” ou alors pour mettre celle du “déjeûner” comme on disait.
Je vous dis ça, mais c’est simplement ce qu’on m’a rapporté, ce que me racontait, par exemple, mon amie Marie-Christine. Dans sa famille, ils faisaient réveillon durant la nuit de Noël. Chez nous, pas question. Le repas de Noël, c’était le 25 décembre à midi. Mon frère Marcel et moi ne nous sentions pas brimés par cette absence de festin, on se rattrapait le lendemain!
La messe
Mais la messe de minuit, elle, on y tenait. Il y avait l’anticipation, le côté magique de sortir dans la neige à une heure où 364 jours par an nous dormions à points fermés, petit goût d’extraordinaire. Et puis il y avait la musique, les chants, les cierges et les lampions, les odeurs d’encens et de cire, la crèche. Alors, il fallait bien que quelqu’un se dévoue pour nous y accompagner. Mon père détestant les grands messes solennelles, les flonflons et les chants (il préférait de loin la messe tôt le matin, sans grandes pompes et sans musique), il ne proposait pas de venir à l’église avec nous. Ma grand-mère, d’habitude toujours là, chez nous, pour tout, ne se mettait pas sur les rangs non plus. Elle se disait fièrement athée. Restait notre nounou, Renée, et maman.
Une année, c’est maman qui se dévoua. Après une petite sieste censée garantir que personne ne s’endorme à l’église, nous partîmes donc à la messe, environ une demie heure avant minuit, pour la veillée de Noël durant laquelle la chorale nous régalait de beaux chants dont certains très anciens qui, je l’espère, sont encore chantés, mais à 21h!
Peu après “Minuit Chrétien”, maman commença à s’assoupir sur son banc, gagnée par une torpeur incontrôlable. L’horreur pour nous, ses enfants! On tenta, tant bien que mal, de la garder éveillée, sans succès. Elle ne ronflait pas, c’était moindre mal! Il est vrai qu’avec les chants, les antiennes, les psaumes et l’interminable sermon … ça faisait long, surtout quand on avait très hâte au matin et aux cadeaux sous le sapin.
Le réveillon
Dès la messe terminée, pas question de traîner sur le parvis (la météo s’y prêtait d’ailleurs rarement). Vite à la maison où papa nous attendait. Si c’était Renée qui était venue à la messe avec nous, elle repartait chez elle aussitôt. Quand ce fut maman, est-ce utile de préciser qu’elle partit tout droit se coucher?
Peu importe! Après la messe, c’était une tradition, on s’asseyait tous les trois, Marcel, papa et moi, à la table de cuisine sur laquelle trônait un plat de petits sandwichs au jambon et au pâté Géo qu’il avait soigneusement préparé en notre absence (en ôtant les croûtes du pain de mie, “du pain anglais” on disait à l’époque). On devait sans doute boire un verre de jus, mais je ne m’en souviens pas.
Les sandwichs dévorés, papa nous servait une coupe de fruits cocktails, oui des fruits en boîtes, mais à cette époque, on voyait rarement autre chose de frais que des pommes, des oranges et des bananes. Les fruits cocktails c’était le signe d’un moment très spécial, surtout s’il y avait du Jello avec!
C’était tout. Après on allait se coucher, mais c’était formidable quand même. Notre tout petit réveillon à nous.
Joyeux Noël!