C’est à travers une tempête de pluie mémorable que j’ai rejoint Marcia Enman, dans les locaux de la Voix Acadienne à Summerside. J’avais laissé derrière moi les rues glaciales de Charlottetown aux prises avec les premiers flocons de la saison. Plus loin, les usines Cavendish avaient soufflé leur haleine de frites jusque dans l’habitacle de ma voiture. On était en novembre. Les manèges de Summerside étaient au repos pour l’hiver. Dans les bureaux de la Voix Acadienne l’activité restait intense.
Chroniques de la presse fragilisée
Marcian Enman m’accueille dans son bureau de directrice générale de La Voix Acadienne.
Elle y est depuis 1978. Depuis le début ou presque : le journal a été fondé 3 ans avant son arrivée, en 1975, par la Société Saint-Thomas d’Aquin.
Cet hebdomadaire est le seul organe de presse francophone de l’Île-du-Prince-Edouard. Il publie chaque semaine une édition papier ainsi qu’une édition numérique dédiée à ses abonnés. Il s’adresse aux 6000 francophones que compte la plus petite province canadienne et aux 14 000 personnes issues des écoles d’immersion et qui font dire à Marcia qu’à l’échelle du Canada Atlantique elle a la chance d’avoir un important lectorat francophone pour son journal.
Vous attendez le “mais” ? le voilà.
MAIS les recettes publicitaires, principales rentrées d’argent d’un journal, ne sont plus ce qu’elles étaient et les campagnes gouvernementales, autrefois leur fonds de roulement, ont été réduites à la portion congrue.
Imaginez : de 208 000 $ de recettes émanant du gouvernement fédéral en 2012 ils sont tombés à 25 000 $ en 2015, sans plus jamais remonter de manière significative !
Ce sujet est régulièrement traité aux informations; la presse traditionnelle est à la peine, le numérique a tout balayé. Dans la région, il reste quelques bastions :
- le Courrier de la Nouvelle-Écosse,
- le Gaboteur, de Terre-Neuve,
- le Moniteur Acadien au Nouveau-Brunswick
- L’Echo des Caps à Saint-Pierre et Miquelon
Tous bataillent avec plus ou moins de succès pour continuer à exister. Pourtant, loin d’être abattu, quand on rencontre Marcia on est plutôt saisi devant l’énergie et l’ingéniosité déployées pour continuer à garder le journal à flots.
Marcia Enman est une femme de solutions
Les Acadiens sont bons en terme de résilience et en refus de la fatalité.
Marcia en est un autre exemple. La Voix Acadienne s’est inventé un tas de chroniques et de rendez-vous qui bon an mal an parviennent à ramener assez d’argent pour maintenir le journal :
- des articles affiliés,
- un cahier de l’Emploi,
- un service de traduction,
- un service de rédaction,
- la publication de deux livres,
- la belle série de capsules vidéo “Les Voix de l’Île-du-Prince-Édouard” que vous retrouvez chaque semaine en page d’accueil de l’Heure de l’Est.
Et on y travaille en équipe, chacun apportant sa pierre à l’édifice, jusqu’à la traditionnelle session du mardi matin où les 4 salariés sont réunis pour la pose des étiquettes sur les journaux sortis la nuit, avant leur livraison à la Poste.
Chaque abonnement compte, alors si vous n’êtes pas déjà abonné, vous savez ce que vous devez faire quand vous aurez fini cet article.
Un charisme au service d’une cause
C’est d’autant plus important de soutenir ce journal que son action, par le travail de fourmi de sa directrice, va au delà de ce qu’on pourrait attendre de lui.
Elle est infatigable, Marcia Enman.
Mes parents avaient 8 enfants, et ils nous ont appris à vivre dans le respect de notre prochain. C’est pour ça que j’ai toujours eu envie que les choses se passent bien entre les francophones et les anglophones sur l’Île-du-Prince-Édouard. Pour y arriver, il faut qu’on se connaisse bien et qu’on s’intéresse aux choses positives.
Et c’est ainsi que pluie, vent ou neige, en voyage, en vacances ou n’importe où qu’elle soit, TOUS les mercredis, Marcia a une chronique radio, “Acadian Beat”, en anglais, sur CBC. Elle y donne des nouvelles aux anglophones sur ce qui se passe dans la communauté francophone.
Un pont.
Un autre pont à l’Île-du-Prince-Édouard, celui de la Fraternité.
Oui, elle est vraiment infatigable : conseillère municipale de Wellington pendant 16 ans elle a été parmi ceux qui ont mis sur pieds le projet HOPE (Helping Other Parents Educate) pour aider et soutenir les parents confrontés à des problèmes de drogue dans leur famille.
“Il a fallu aller jusqu’au ministre provincial, mais on l’a eu ce centre pour toxicomanes à Summerside dont des familles avaient tant besoin !”
Et pourquoi rester à la maison le soir quand on peut :
- aller faire une partie de bingo avec les aînés ?
- ou travailler à créer une communauté de communes francophones,
- ou, à force de ténacité, obtenir des services en français un peu partout dans la province.