Labrador City. Le nom claque comme une branche d’épinette qu’on piétine avec des raquettes. Rien que d’y penser, ça vous souffle du froid en pleine figure, ça vous gèle les narines en une fraction de seconde. Sur la carte, Labrador City est dans l’ouest du Labrador, près de la frontière qui sépare les provinces du Québec et de Terre-Neuve & Labrador. A 27 km, il y a Fermont, Qc, et son mur. Vu de loin c’est hostile et magnifique. Un paysage à la Jack London. Les fantômes de Farley Mowat et d’Erik Le Rouge rôdent dans les immenses forêts mais c’est aussi “Presque-le-Pays du Père Noël” et ici comme partout au Canada, il y a des français qui s’apprêtent à fêter Noël. Entretien d’avant-les-fêtes avec Michel Bourbeau, de l’Association Francophone du Labrador.
Il est soulagé, Michel. Il fait doux, -8°, et brumeux. “Enfin !… cette année l’hiver est arrivé en octobre; c’est tout blanc depuis. On a eu des tonnes de neige déjà. La semaine dernière il faisait -30° : l’hiver va être long !”. Il ne précise pas que cette année un record de froid a été battu pour un mois de novembre : -33,6°C ! Ce quinquagénaire sympathique et bon vivant n’est pas un novice en terme d’hiver rigoureux: il est de Montréal. Il est arrivé au Labrador en 2017 pour prendre le poste de directeur général de l’Association de Francophone du Labrador. La communauté est petite : 360 âmes environ. Le terme de minorité linguistique s’impose parmi les 12 500 habitants de la région de Labrador City – Wabush.
1.Du minerai de fer et des hommes
“La très grande majorité des francophones est là pour le travail. Ici tout tourne autour des compagnies minières qui extraient le minerai de fer. Rio Tinto, IOC, Acelor-Mittal …. Il y a ces très grosses compagnies ici. Elles font venir beaucoup de travailleurs. La plupart de nos membres sont dans ce cas; en général ils ne sont pas natifs du Labrador mais viennent du Québec, de Terre-Neuve ou de Nouveau-Brunswick. On a même quelques franco-ontariens. ”
Comme toutes les associations de francophones, l’AFL veille au grain. Il faut continuellement prendre garde à l’assimilation, tenir les rennes de la lutte et travailler au bien-être de ses membres. Ses rôles :
- revendiquer les droits des francophones,
- faire la promotion du tourisme en français au Labrador,
- assurer l’école en français, au centre éducation l’ENVOL
- pousser la communauté francophone à aller de l’avant, l’animer et la divertir.
Un vrai défi à l’heure où la plupart des ouvriers sont de plus en recrutés en “navettage” (fly-in fly-out) et laissent femme et enfants dans leur région d’origine. Deux semaines au Labrador, une semaine à la maison. C’est bon pour les compagnies aériennes, mais pour les communautés sur place c’est une autre histoire : difficile d’intégrer ces travailleurs qui sont éternellement de passage et qui travaillent en continu.
Pourtant, Michel est optimiste : ” La communauté francophone est très dynamique ici. Les gens sont toujours très motivés pour poursuivre la lutte pour les services en français. A côté de ça nos relations avec les communautés anglophones sont excellentes, c’est très important de vivre en harmonie, dans le respect de chacun.”
2. Pas d’orignal au souper de Noël
Parmi les animations de fin d’année les soupers qui rassemblent la communauté viennent ont la cote ! Cette année, l’événement a été un beau succès : ” On a eu une bonne cinquantaine de personnes pour la soirée des adultes. Au menu : T-Bone et Poulet.” Pas d’orignal ? pas de perdrix ? … “Non, on mange “traditionnel” et le gibier, il y a beaucoup de gens qui n’aiment pas trop. Cette célébration de Noël entre les membres de l’AFL se fait dès le mois de novembre. En décembre, les résidents du Labrador vont partir dans leur famille: au Québec ou à Terre-Neuve.”
Pour les enfants, le rendez-vous est fixé au 9 décembre. “On attend une trentaine de jeunes, ils vont préparer un brunch pour leurs parents et puis le Père Noël va venir !.”
Et pour la messe de Noël, c’est la même chose : ça s’organise. Il y a un seul prêtre francophone, le père Jimmy Delalin, basé à Baie-Comeau, Qc, il dira la messe en français le 24 décembre. Ça ne sera pas à minuit, mais tant pis, les traditions seront sauves cette année encore. Enfin, le si le temps le permet ! La route 389 qui relie Baie Comeau à Labrador City fait 600 kilomètres. C’est un peu longuet quand il fait beau, ça peut devenir un cauchemar en hiver.
3. Et les cadeaux de Noël alors ???
“On est très tributaire du transport. Il peut être très compliqué avec la neige.”
Tiens, j’ai déjà entendu ça quelque part !… Le Labrador n’est pourtant pas une île.
Certes non, mais les villes et villages, sont accessibles par la route, la 389 depuis le Québec et ensuite, la route 500 qui relie Happy-Valley-Goose-Bay. Quand il y a trop de neige, tout se bloque. Oui il y a des moto-neiges partout et de plus en plus de traineaux à chiens, mais il n’empêche que pour alimenter le WalMart de Labrador City, ça prend des semi-remorques et des routes bien dégagées.
La capitale provinciale, Saint-Jean de Terre-Neuve, semble être à des années-lumière. Les francophones de Labrador City ont les yeux tournés vers le Québec, à une vingtaine de kilomètres seulement. Le Labrador c’est une superficie comparable à celle de l’Italie pour … un peu plus de 27 000 habitants comptabilisés en 2016. Ça fait de la place pour tout le monde ! Justement, est-ce qu’on se sent isolé quand on habite sur un territoire si grand et si peu peuplé ?
“Non ! on n’est pas isolé. C’est sûr que les instances fédérales sont à Happy-Valley-Goose-Bay mais ici à Labrador City on a le centre commercial, ça draine pas mal de monde. Pour se divertir on a le Centre des Arts et de la Culture ou bien on va à Fermont.”
Ah ! j’ai tellement envie d’en savoir plus et d’aller voir moi-même. Je viens de mettre une ligne de plus à ma liste des “communautés francophones isolées que je voudrais vraiment visiter.” Une belle perspective pour l’Heure de l’Est !
Crédits photo : Michel Bourbeau