Artistes : Marie-Hélène Allain et Alisa Arsenault
Où : Galerie Louise-et-Reuben-Cohen (Université de Moncton), en collaboration avec le Musée du Nouveau-Brunswick
Quand : En montre jusqu’au 25 mars 2018
Quand deux artistes acadiennes aux parcours et aux œuvres aussi différentes se rencontrent, il y a quelque chose d’historique dans l’air.
Marie-Hélène Allain est cette pionnière de la sculpture (un domaine artistique presque exclusivement masculin) qui a la particularité d’être membre d’une communauté religieuse. Soutenue par celle-ci depuis plus de cinquante ans, et après une fructueuse carrière de poétesse de la pierre, Marie-Hélène Allain réfléchit à son héritage, celui légué par ses parents, et aussi celui qu’elle laissera derrière elle. Car si on peut s’attendre à ce que cette grande dame très gentille et facile d’approche continue de créer, elle-même avoue que l’installation, précédemment exposée au Musée du Nouveau-Brunswick sous le titre « Imagerie de l’héritière » en 2016 et qu’on peut admirer à la Galerie Louise-et-Reuben-Cohen de l’Université de Moncton, est son dernier projet d’une telle ampleur.
Ça pince le cœur de penser que cette artiste respectée et admirée puisse un jour ranger ses outils…
Mais lorsqu’on travaille un matériau aussi lourd et dense que la pierre, avec des insertions de métal et des objets de bois, souvent de grande dimension, force est d’admettre que l’âge devient une contrainte. Et probablement une inspiration : on trouve dans l’installation conjointe de Marie-Hélène Allain et d’Alisa Arsenault une réflexion sur le temps, l’identité, la transmission et l’histoire, qui forme le fil conducteur entre les deux artistes que deux ou trois générations séparent.
Alisa Arsenault est une jeune artiste de Moncton qui fait beaucoup parler d’elle depuis ses études en arts visuels. À ses angoisses des débuts, où déjà les motifs de son travail étaient perceptibles, où transparaissaient sa grande sensibilité et son sens de l’humour unique, Alisa Arsenault a su répondre avec des approches de plus en plus cohérentes aux grandes questions qui la hantent. Tout d’abord nées d’une résidence d’artiste à la Galerie Sans Nom en novembre 2017, les pièces exposées en parallèle avec l’installation de Marie-Hélène Allain incluent aussi des œuvres plus anciennes. L’effet général est celui d’un éclatement : des projections vidéos, des collages, des sculptures, de la sérigraphie et de la photographie, autant de techniques qui interrogent la création des mythes familiaux et de son rapport avec l’hérédité, le passé, la famille.
Alors que chez Allain, la grande unité formelle de ses œuvres (courtepointes de pierre, troncs d’arbres monochromes qui servent de socles à des livres de pierre placés à la verticale, pièces plus petites posées à même le sol, etc.) donne un caractère solennel, appelant au recueillement, les œuvres d’Alisa Arsenault font référence à un passé plus ou moins récent qu’elle interroge et qu’elle s’approprie. Par exemple, elle aime s’inspirer des souvenirs de sa mère (maison d’enfance, tissus, objets, et même ses « ex-boyfriends »!) pour les interpréter à sa manière.
Cette fois, Alisa élargit et approfondit sa réflexion en s’appropriant une vieille photo trouvée dans un marché aux puces, représentant des inconnus, dont une partie a été volontairement découpée. Or, un miroir a capté le reflet de celle qu’on a voulu effacer de la photo : une femme élégante, qui porte un col en fourrure. Arsenault cherche à comprendre l’histoire cachée dans cette image ambiguë, et va jusqu’à se représenter elle-même dans la position de la femme, en portant un col de fourrure similaire. Tout ce que la mémoire conserve construit une mythologie qui n’est pas « la vérité », mais tente de dire quelque chose sur nous-mêmes. Tissée de fil blanc (comme ce fil accroché au mur de la galerie qui reproduit une silhouette), notre histoire personnelle comporte aussi des zones d’ombres…
Quant à elle, Marie-Hélène Allain nous offre des réflexions riches de symboles, pleines de références à ses parents disparus et fortes de significations sur l’amour, sur la foi, sur la création et l’art, mais aussi sur la nature, au crépuscule d’une longue et magnifique carrière qu’on lui souhaite féconde pour encore plusieurs années. De son côté, Alisa Arsenault fait éclater les cadres pour disséminer des pistes qu’elle s’amuse à brouiller. Le contraste entre les deux démarches artistiques m’a fortement plu, ému, et se complètent bien. Chez l’une, il y a une sérénité et une grâce que je qualifierais d’océanique, tandis que chez l’autre il y a l’humour et le sérieux de la jeunesse, qui questionne et qui s’éparpille. Une exposition à voir, pour encore quelques jours!
Nous sommes chanceux.ses, en Atlantique, d’avoir des artistes formidables, qui s’inscrivent dans un territoire et dans une culture polyphonique, multiple. Je vais essayer de vous en faire découvrir quelques unes et quelques uns… Et pas seulement à Moncton. On s’en reparle bientôt!