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Qu’y a-t-il en commun entre la ville de Damas en Syrie et celle d’Antigonish en Nouvelle-Écosse? “Rien du tout” me direz-vous”: Damas est une capitale avec une population, en 2010 (avant la guerre), de près de 2 millions d’habitants. Antigonish est une petite ville de Nouvelle-Écosse de 4 364 habitants (2016) où on ne connaît ni le bruit des bombes ni celui des fusils mitrailleurs. Et pourtant… ces deux localités sont liées par la même chocolaterie syrienne. Laissez-moi vous présenter la famille Hadhad.

Chocolatier syrien

Famille Hadhad

À ma droite, le père Isam, ingénieur (génie civil) de son état mais aussi chocolatier à Damas et, à ma gauche, son fils, Tareq, formé pour le monde médical et maintenant gérant de chocolaterie. Plus tard, vous rencontrerez la fille, Ala, qui gère la boutique. Fin 2012, une bombe détruit leur grande chocolaterie en Syrie, puis quelques mois plus tard c’est au tour de leur bâtiment appartement de partir en fumée. Rapidement, cette famille de toutes évidences très aisée, se retrouve sur la route de l’exil. “Si on nous avait dit quelques années plus tôt que la guerre viendrait nous frapper, on aurait tous rigolé”, m’explique Tareq. Et pourtant, début 2013, après un voyage qui les aura littéralement dépouillés de tous leurs biens, ils arrivent au Liban et s’installent dans un camp de réfugiés. Ils y resteront 3 ans (vous avez bien lu, 3 ans!) au bord du désespoir, à tel point que les parents envisagent même de tenter la traversée vers la Grèce avec passeurs et canots de fortune. Le fils Tareq, qui a réussi à s’assurer que la famille de 7 personnes soit inscrite sur la liste des réfugiés admissibles au Canada, prône la patience.

Chocolaterie syrienne

Antigonish, NÉ

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de là, à Antigonish, petite ville universitaire de Nouvelle-Écosse, des gens s’inquiètent de la situation en Syrie et du sort des réfugiés lancés sur les routes de l’exil. Ils sont instituteurs, professeurs, avocats ou médecins et décident de fonder un groupe privé pour parrainer des réfugiés. Ils prennent le nom de S.A.F.E (Syria-Antigonish-Families-Embrace). Ils réunissent les fonds exigés par le gouvernement canadien, remplissent tous les papiers, prouvent qu’ils ont de quoi loger, nourrir, aider et soutenir (pendant quelques années,) les réfugiés qu’ils souhaitent accueillir. Ils attendent, eux aussi.

Enfin, en décembre 2015, les dossiers sont prêts: le groupe SAFE apprend qu’il recevra la famille Hadhad. Tareq prend la route d’Antigonish, le reste de la famille suit le 7 janvier 2016. Ils n’ont aucune idée d’où ils vont, les néo-écossais ne connaissent rien ou presque ce ceux et celles qu’ils accueillent pourtant à bras ouverts. Très vite, les Hadhad (entrepreneurs un jour entrepreneurs toujours), cherchent à contribuer à l’essor de leur ville: ainsi naît la chocolaterie Peace by Chocolate ou, si vous préférez “Chocolat pour la paix”.

chocolaterie syrienne

Boîte de chocolat

Qu’est-ce que la paix vient faire dans le chocolat? Tareq est franc: “ça nous donne un produit différent et unique mais c’est aussi une façon de revenir sur ce qui est, aujourd’hui, pour notre famille une évidence: sans paix il n’y a pas de vie possible,  sans paix on ne peut pas bâtir une famille ou un foyer. Et c’est bien grâce à un élan de paix de la part de SAFE que nous sommes ici.”

Peace by Chocolate affiche donc fièrement son message: toutes les boîtes de chocolat affichent le mot “paix” en langues différentes. Les barres de chocolat au lait noisettes affichent le mot “paix” en français, anglais, arabe, punjabi et, depuis le 3 mai 2018, en Mi’kmaq. La chocolaterie affiche aussi ses valeurs en utilisant exclusivement du chocolat issu du commerce équitable.

Chocolaterie syrienne

Boîtes de chocolat

La famille Hadhad voulait repayer l’élan de générosité qui les a menés au Canada et plus particulièrement en Nouvelle-Écosse. C’est chose faite. Depuis l’ouverture de la chocolaterie en août 2016, le chiffre d’affaires a été multiplié par 20! Il y avait un employé à l’ouverture, il y en a 15 aujourd’hui (emplois permanents et à temps plein). En 2017, aux alentours de Noël, il a fallu 35 employés; ils seront 45, minimum, ce Noël dans un laboratoire flambant neuf sur les hauteurs d’Antigonish.

C’est qu’il faut répondre aux commandes sans cesse croissantes: fournir les supermarchés Sobeys de l’Atlantique (et maintenant de l’Ontario) qui vendent leurs chocolats depuis le tout début. Il faut aussi répondre aux commandes en ligne et à la demande locale.

chocolaterie syrienne

La boutique

Au centre- ville, la famille garde la minuscule boutique où tout a commencé. À peine plus grande qu’une remise de jardin, c’est le fief de Ala et de sa mère qui accueillent les locaux et les visiteurs qui s’y pressent. La chocolaterie familiale est même devenue une attraction touristique: l’an dernier,  plus de 10 000 touristes américains sont venus visiter Peace by Chocolate; “ils cherchent un peu d’espoir” me dit Tareq le plus sérieusement du monde. La compagnie a fait l’objet de quelque 500 reportages, documentaires ou articles dans les médias du monde entier. Tareq, excellent communicateur, propose d’ailleurs des services très prisés de conférencier. 

chocolaterie syrienne

Un T-shirt pour la paix

 

Tout laisse donc présager un très bel avenir à la famille Hadhad qui n’oubliera jamais que c’est grâce à un élan d’amour de purs étrangers que leur grande chocolaterie syrienne a repris vie dans une petite ville de Nouvelle-Écosse.

Quant au groupe SAFE, son travail ne s’arrête pas à cette histoire à succès, bien au contraire: le groupe a déjà parrainé trois autres familles syriennes et s’apprête à en accueillir deux autres.

(Note: le site web et les produits promotionnels de la chocolaterie ne sont disponibles qu’en anglais, pour l’instant.)

 

 

 

 

 

 

Chocolatier Peace By Chocolate, Antigonish, NÉ

 

Françoise Enguehard

Native de Saint-Pierre et Miquelon, Françoise est établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis plus de quarante ans. Journaliste (anciennement à Radio-Canada, aujourd’hui chroniqueuse pour l’Acadie Nouvelle) , auteure reconnue, bénévole de la communauté francophone de l’Atlantique (Présidente de la Société Nationale de l’Acadie de 2006 à 2012 et de la Fondation Nationale de l’Acadie depuis 2014), elle connaît intimement la région de l’Heure de l’Est, ses gens et les défis qu’ils relèvent au quotidien. Femme d’affaires, elle dirige VIVAT Communications, une firme spécialisée dans la traduction et les communications.

3 Comments

  • Alain TRAON dit :

    Une bien belle histoire réunissant en une pages deux villes presque aux antipodes, tant par position géographique que par le climat et le mode de vie.
    Qui a dit que les pôles opposés s’attirent ? Maxwell, je crois

    En tous cas , après le confinement j’y ferai bien un saut

    Alors…. à bientôt

    Alain

  • DUTINMICHEL dit :

    Quel bel exemple d’humanité ! Je prends toujours plaisir à lire vos articles. Merci Françoise.

    • Françoise Enguehard dit :

      Bonjour, Je suis contente de savoir que vous nous lisez avec plaisir. L’histoire des Hadhad est en effet remarquable d’humanité. Le fils est impressionnant et la famille inspirante. Dans cette crise du Covid-19, ils ont offerts des chocolats gratuitement à tous les gens en première ligne en Nouvelle-Écosse, ils s’impliquent dans toutes les causes, dans leur coin de pays et dans le Canada au complet. Mais je pense que leur impact sur la toute petite ville d’Antigonish est quelque chose. Ils emploient une cinquantaine de personnes et quand j’ai fait la visite, les locaux qui y travaillent m’ont expliqué qu’ils prenaient des cours d’arable puisque la famille, elle, prenait des cours d’anglais. C’était naturel m’ont-ils dit! Nous avons repris cette semaine notre rythme normal de production d’articles. Continuez à nous lire. Françoise

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