Le jardin secret de June Deveau
C’est une petite maison au fond d’une cour sur la route longeant le littoral, à Saint-Alphonse – entre Par-en-Haut et Par-en-Bas, à la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse. L’atelier de la peintre acadienne June Deveau est ouvert au public.
Accrochés à la devanture, une étoile jaune et deux drapeaux tricolores et étoilés indiquent de concert que l’Acadie est juste là.
Arrivée un peu par hasard, avec des envies de découvertes et de rencontres j’ai eu l’impression que June Deveau et son mari, Jimmy « Toothpick » m’attendaient.
Elle peignait, lui se berçait tranquillement sur un fauteuil à bascule. Il ne manquait qu’un chat et une bouilloire qui siffle. La scène elle-même aurait mérité d’être immortalisée à l’acrylique. Il aurait fallu y ajouter l’odeur des chiffons mouillés de térébenthine, des tubes de peinture et la parlure unique de Jimmy.
L’artiste peintre s’interrompt tout sourire pour accueillir cette visiteuse qui n’était pas annoncée.
Il reste un fauteuil à bascule, on m’y fait asseoir.
Petit à petit la sérénité du lieu me gagne. On ne dit d’abord rien, je regarde autour de moi. June Deveau reprend ses pinceaux et son travail. Jimmy « Toothpick », son balancement. De nombreuses toiles sont exposées sur les murs rouges sombres.
Face à moi : une série de paysages.
Peindre ce qui ne se voit pas
C’est avant tout ce qui est invisible qui nous saute à la figure. C’est le vent et les éléments qui bousculent.
Les arbres sont rabougris, torturés. Sculptés par un vent assez fort pour les façonner et décider de leur pousse.
Ce sont aussi des falaises, des rochers gris surplombés de nuages tout aussi malmenés. C’est la Baie Sainte-Marie, vue sous un angle brut. Une nature inhospitalière et toute puissante, qui n’a besoin de personne.
Des grosses vagues atteignent le haut des côtes. C’est tous les jours jour de tempête. Ça souffle, ça écume. C’est la Baie Sainte-Marie telle que June Deveau l’imagine au moment de l’arrivée des premiers colons acadiens, en 1768.
Sur la toile : la rudesse de la Nature
On ressent l’extrême rudesse de leurs premiers mois dans ces paysages qui ne comportent pas la moindre trace d’activité humaine.
Juste des arbres, de l’herbe jaunie qui tourbillonne, de la roche, le ciel et la mer. Une nature avant l’Homme, belle et qui se suffit à elle-même.
Une nature que les colons ont domptée et ont su faire fructifier: c’est le thème d’une autre partie de l’exposition.
Une poésie pastorale
Sur un autre mur, l’ambiance est tout autre. La Nature est toujours présente mais elle est aux mains des hommes et des femmes.
« Je veux montrer l’Acadie et mon attachement envers ma culture. La façon de vivre d’autrefois, la culture traditionnelle. Je suis vraiment chanceuse d’avoir pu trouver ce médium qu’est la peinture et qui me permet de porter ce message que je veux dire au monde à propos de ma fierté acadienne. » June Deveau.
Le message est fort mais c’est tout en retenue qu’elle s’exprime.
Dans un monde où tout va si vite la peinture de June Deveau nous ramène à la terre et à l’ancrage. ll n’y a plus de vent. La Nature est apaisée et généreuse, elle est partenaire.
Un homme attelle son cheval de trait, une main sur l’encolure. Il lui chuchote « Tout doux mon vieux … j’en ai pas pour longtemps, … reste calme, on y va... » C’est doux, plein de complicité et de concentration.
Et à cet autre qui mène un bœuf roux et blanc on voudrait demander ce qui lui vaut ce pas pesant. Une autre très longue journée de passée au champ ? Est-ce que son dos est fourbu, est-ce que ses mains lui font mal ?
Dans la peinture de June Deveau les femmes sont elles aussi mises en scène : toutes vêtues des traditionnelles robes et coiffes acadiennes. Elles se consacrent aux activités traditionnelles d’autrefois :
- filer la laine au rouet,
- préparer le pain, ou battre le beurre,
- coudre la courtepointe seule ou entre voisines
Des souvenirs d’enfance, une culture qu’il faut préserver et dont il faut témoigner. Même le nom de ses toiles ont un accent ! Elle s’applique à utiliser le vocabulaire de la parlure de la Baie. La peinture de June Deveau, c’est un Village Acadien sur toile, en quelques sortes.
Et il y a aussi cette magnifique Évangeline.
Le pouvoir évocateur de l’icône de Longfellow est sublimé par June Deveau en quelques traits de pinceaux. L’héroïne acadienne, qu’elle montre universelle et sans visage, en symbole de la tragédie et de l’espoir du peuple acadien. Et de tous les peuples qui souffrent.
Une peintre qui partage
Le contact, la conversation, la transmission, voilà, ce qui anime June Deveau.
Régulièrement primée pour son art elle n’en reste pas moins accessible et très disponible pour ses visiteurs.
Depuis de très nombreuses années elle anime des cours de peinture dans sa région et ailleurs, dans toute l’Acadie.
June Deveau est une artiste reconnue et sa galerie est chaque année le pôle d’attraction de Saint-Alphonse. Si vous passez par là, arrêtez-vous et allez voir. Prenez votre temps, vous aurez là une belle occasion de vous plonger dans la culture acadienne et ses traditions.
Et si vous ne comprenez pas tout ce que vous dit Jimmy, c’est normal !
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Très heureux en lisant cet article de reconnaître le superbe tableau d’Evangeline, déjà mentionné dans un autre article de Patricia.
Malheureusement, j’ai appris sur Internet que June Deveau, était décédée en décembre 2022.
Sur Internet j’ai pu découvrir également un autre grand symbole acadien peint par June Deveau : la Croix de la Déportation de Grand-Pré (Nouvelle-Ecosse). C’est cette croix qui surmonte les monuments dédiés à l’Odyssée acadienne, dont il a été question dans un article de Françoise.
And some of my blood is on the roof of that gallery!