Terre-Neuve et Labrador a beau être la province la plus jeune au Canada (elle est entrée dans la Confédération en 1949), son histoire européenne est la plus ancienne au pays. C’est logique, territoire le plus à l’Est du continent américain elle est, par conséquent, le premier point de chute de tout explorateur de l’Atlantique Nord. Un peu plus 500 ans nous séparent d’explorateurs bien connus comme John Cabot ou Jacques Cartier et c’est à peu près le laps de temps qui les séparaient, eux, des vikings qui débarquèrent sur l’île de Terre-Neuve, aux environs de l’an 1000.
Les vikings, du Groenland à Vinland
L’histoire des Norses – on dit souvent Vikings – est bien connue, leurs talents de navigateurs et de conquérants aussi. Leur présence s’est manifestée partout en Europe et jusqu’à Constantinople en 860! Mais en plus d’étendre leur influence vers l’Est, ils s’étendirent aussi rapidement vers l’Ouest, passant des Îles Féroë à l’Islande, puis au Groenland, en 985, où s’installe Éric le Rouge.
C’est une installation précaire qui prend forme au Groenland où une ressource fait cruellement défaut: le bois, indispensable pour construire les maisons et surtout pour les quilles et les mâts de bateaux assez grands pour les navigations océaniques, les knarrs. Pour trouver du bois, mais aussi par désir d’exploration et par goût affirmé de la découverte, les Norses décident alors de pousser plus à l’Ouest.
Avant l’arrivée des compas et autres instruments de navigation, on savait seulement se diriger d’Est en Ouest, les Norses suivirent donc la côte du Groenland pour passer ensuite à la Terre de Baffin qu’ils appelèrent Helluland, longeant alors le nord du continent américain vers le Labrador – ils le baptisèrent Markland – pour arriver enfin plus au Sud dans un endroit qu’ils nommèrent Vinland (la terre du vin).
Comptez deux à trois semaines de navigation sur des embarcations non pontées, dans le froid, la brume et les icebergs. Il fallait avoir envie d’explorer le monde!
“Et comment savons-nous tout cela?” demandez-vous, à juste titre. Tout simplement, parce que c’est écrit!
Les sagas, témoins de l’histoire des Vikings
Quand on visite l’Islande, on découvre vite son “Trésor National”: les Sagas, ces récits datant du Moyen-Âge, écrits sur des peaux de veau. En 1904, en obtenant son autonomie du Danemark, l’Islande négocia, par la même occasion, le retour des Sagas Islandaises qui sont aujourd’hui exposés au Centre Arni Magnusson de Reykjavik.
C’est dans ces manuscrits, révérés par toute la population islandaise, que se trouve l’histoire de la découverte de Vinland, consignée semble-t-il quelques siècles après l’exploration.
Mais comment trouver Vinland avec exactitude?
Explorateurs des temps modernes: les Ingstad
Depuis longtemps, plusieurs historiens s’étaient attaqués à la question, dont un Terre-Neuvien, William Munn. Mais c’est un couple norvégien, les Ingstad, qui détermine les lieux, une fois pour toutes. Helge Ingstad est explorateur et sa femme archéologue. Entre 1960 et 1968, ils s’attachent à prouver que L’Anse aux Meadows a bel et bien abrité un établissement norse aux environs de l’an 1000.
L’Anse aux Meadows – que les pêcheurs français avaient baptisé l’Anse à Médée ou aux Méduses (les historiens ne sont pas certains) avant que les Anglais ne déforment le nom en “l’Anse aux Meadows” – , est une plaine tout au bout de la péninsule Nord de Terre-Neuve, sur les bords de la Baie du Pistolet, face au Détroit de Belle-Île.
La mer est à 100m, et c’est l’Atlantique Nord sans interruption jusqu’en Europe! Quand on arrive, sur place, je vous l’assure, on a le sentiment d’avoir atteint un bout de la planète. Mais c’est peu dire que d’affirmer que l’endroit vaut le détour.
Dans ce lieu où, pendant des siècles, seuls de petits monticules de gazon ont laissé entrevoir les vestiges d’un ancien établissement, les Ingstad mirent à jour huit édifices dont trois maisons longues, édifices traditionnels de la culture Norse.
Les preuves
Plusieurs artefacts – une boucle de broche, une quenouille, des morceaux de bois, de clous – et la présence d’une forge, permirent de dater l’établissement aux alentours de l’an 1000. La présence des Norses en Amérique, longtemps avancée, était enfin confirmée. En 1978, L’Anse aux Meadows entre au Patrimoine mondial de l’Unesco. Peu après, Parcs Canada y ouvre un centre d’interprétation.
Sur le site, le visiteur marche sur les sentiers balisés qui traversent la plaine, découvrant les vestiges des installations qui permirent à une communauté de 70 à 90 personnes, hommes et femmes, d’hiverner. Fidèle à sa mission de proposer des expériences culturelles, Parcs Canada offre la possibilité de s’asseoir dans une des maisons longues pour écouter l’histoire de cet établissement, tandis que des figurants montrent certaines des techniques employées par les Norses pour assurer leur quotidien.
Et… le vin dans tout ça ?
Que les Norses se soient établis à l’Anse aux Meadows, soit, mais une chose est incontournable: la Péninsule Nord de l’île de Terre-Neuve, n’est pas la terre du vin mais celle de la bruyère, des icebergs et des caribous! Alors, le vin????
En fait, les sagas, les travaux des Ingstad et les fouilles qui ont suivi ont prouvé que le site actuel servait d’avant-pont, de base hivernale si vous préférez, à ces hardis explorateurs. Si on considère qu’il fallait près d’un mois pour passer du Groenland à Terre-Neuve et possiblement plus encore pour rentrer au bercail, il fallait absolument pouvoir passer l’hiver sur place pour disposer d’assez de temps, durant l’été, pour explorer plus loin.
Il est aujourd’hui accepté que les Norses ont dû, tous les étés, “défiler le Golfe” comme disaient autrefois les marins français pour aller explorer l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, se rendant jusqu’au Maine et possiblement jusqu’à l’emplacement actuel de New-York. C’est dans ces endroits bien plus chauds qu’ils auraient trouvé les vignes sauvages de Vinland. On a trouvé à l’Anse aux Meadows des restes de bois endémiques à ces régions qui confortent cette théorie.
Le départ des Vikings
Parmi les mystères entourant la présence des Norses en Amérique, il y a le fait que malgré les promesses de Vinland, ses richesses et ses possibilités, les Norses plièrent bagages après 15 ou 20 ans d’occupation et repartirent au Groenland.
Quelques raisons ont pu motiver ce départ: d’abord, la présence à Vinland de “Skraelings” (Indiens) belliqueux . Les escarmouches entre les deux peuples sont, en effet, bien documentées dans les Sagas. Peut-être aussi est-ce le fait que l’établissement du Groenland (quelque 500 âmes au plus) ne pouvait plus se passer des quelque 70 à 90 personnes établies à Terre-Neuve.
De nouvelles possibilités
Les recherches continuent à l’Anse aux Meadows, entre autres avec une archéologue de l’Université Memorial, une québécoise de la Côte Nord, du nom de Véronique Forbes.
Ses recherches de 2018 tendent à prouver que les Norses n’auraient pas totalement abandonné le site mais seraient revenus sporadiquement jusque dans les années 1300 pour commercer. Tant mieux! Ça nous donnera l’occasion de vous en reparler, promis!
Cheveux au vent, saoulés par l’air iodé, ivres de liberté et avec le sentiment d’être seuls au monde, vous arpenterez ce lieu unique de notre région et, à dire vrai de toutes les Amériques, en pensant à tous ces gens – Skraelings, Vikings, pêcheurs français, anglais et autres qui ont, eux aussi, admiré ce même paysage à couper le souffle. Et, ce faisant, vous prendrez alors pleinement conscience de la plénitude du temps qui passe.
L'Anse aux Meadows, Terre-Neuve
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Moi le Normand de France, je peux dire que les Vikings en Normandie, on connaît ! A proximité de CAEN dans le Calvados, se trouve le Parc Historique ORNAVIK, dédié aux Vikings. Ce lieux ouvert en 2011, nous plonge dans le quotidien des Vikings en Normandie, de l’an 900 à 1050.
Joli clin d’oeil à l’Anse aux Meadows, dont il est question dans l’article de Françoise.
Mais qui dit Viking, dit Drakkar. Et un bateau de ce type se trouve au Parc ORNAVIK (c’est une copie en provenance de Norvège).
très beau texte et un reportage intéressant qui nous apprend beaucoup sur le peuplement d la cote est du canada bien avant l’arrivée des anglais et des français cela donne envie de s’y rendre pour visiter ce site
Vraiment chouette! Je connaissais ce bout d’histoire mais certains éléments sont une découverte, merci. Et puis c’est tellement bien écrit. Ça donne le goût, d’une part, de s’y rendre, et d’autre part, de lire une nouvelle «saga» sous la plume de cette autrice.
Bon résumé pour Vinland – merci Françoise .– Jean G.