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Tous les professeurs, instituteurs et institutrices le savent: il faut de l’énergie, de la détermination et de la créativité pour être enseignant. Mais imaginez-donc quand vous enseignez le français dans un endroit minuscule, entouré d’une mer anglophone. Et quand, en plus de l’enseignement de la langue proprement dite, vous avez la tâche d’enseigner la fierté acadienne. C’est un défi que Gabrielle Samson relève tous les jours.

La dure réalité

Fierté acadienne

Pomquet, NÉ

J’arrive à Pomquet (SVP, prononcer Pomquette) en Nouvelle-Écosse. À l’entrée du village de 900 âmes, se dresse une école qui accueille 350 élèves de la pré-maternelle à la 12ème année (la Terminale, si vous êtes en France). Ils viennent du village proprement dit ou des environs, de Havre-Boucher ou de Tracadie, noyés (ou presque!) dans une mer de quelque 10,000 anglophones unlingues.

Si cette situation vous surprend ou vous atterre (les deux, peut-être?), c’est que vous vivez à Saint-Pierre et Miquelon, aux Îles de la Madeleine ou en France. Parce que, malheureusement, cette triste réalité se répète dans tous les coins des quatre provinces atlantiques canadiennes où les francophones sont minoritaires.

Langue et identité

Fierté acadienne

Pomquet, NÉ

Le propre de l’enseignement en milieu minoritaire c’est de devoir enseigner à la fois la langue et la fierté. Car si on peut enseigner le français à n’importe qui, la transmission de la langue aux générations futures ne peut se faire qu’avec la fierté chevillée au cœur. C’est surtout vrai quand un élève vient d’un foyer où seuls les grands-parents parlent encore français, ou lorsqu’un des deux parents est unilingue anglophone, auquel cas l’anglais règne à la maison.

Jeux de l’Acadie

Gabrielle Samson, Acadienne de la Nouvelle-Écosse (elle vient de l’Anse à Samson, à l’Île Madame, à une heure trente de route de Pomquet) sait très bien à quel point ce sens d’appartenance est essentiel au développement des jeunes acadiens. Elle-même s’est engagée très tôt dans les mouvements jeunesse pour y forger sa force et son appartenance.

fierté acadienne

Lectures

Alors, une fois ses études finies, lorsqu’elle s’est installée derrière son bureau d’enseignante, Gabrielle s’est dit que c’était bien beau d’étudier Victor Hugo et les classiques canadiens comme Antonine Maillet ou Gabrielle Roy, mais qu’il fallait faire quelque chose en plus pour que l’anglais ne prenne pas complètement le dessus en dehors de sa salle de classe.

Maître Gims vit à Pomquet

Quand les élèves entrent en classe, mercredi matin, ils demandent: “On fait l’artiste du mois aujourd’hui, Madame Gab?” Gabrielle avait un peu changé ses plans à cause de ma visite mais leur question m’intrigue… Allons-y pour “l’artiste du mois”. Qui est l’artiste choisi? Maître Gims, me disent les élèves très amusés qu’une française (c’est moi) ne connaisse pas cette idole du hip-hop francophone. À Pomquet, les jeunes savent tout (ou presque) sur lui. En fait, c’est le but du jeu: Madame Gab choisit un artiste nouveau tous les mois, quatre vidéo-clips et paroles de chansons. Les élèves reçoivent les paroles et font de la recherche sur l’artiste, créent un jeu questions-réponses sur sa vie et sa carrière, s’amusent à ré-interpréter les clips et à chanter à tue-tête les chansons dans un karaoke qui décoiffe!

Fierté acadienne

En classe

L’enseignante n’a pas élaboré cette activité pour plaire à ses élèves uniquement; elle s’est assurée d’y inclure des objectifs pédagogiques: lecture, recherche, vocabulaire, prononciation, diction, expression orale sont directement liés à l’activité qui poursuit un autre objectif majeur: donner aux jeunes le bagage nécessaire pour qu’ils s’éclatent dans la cour d’école, chez eux, entre amis, en écoutant du hip-hop, du rap, du country ou encore de la musique acadienne, en français. Ce n’est pas rien quand on sait à quel point la musique et la culture américaine dominent nos sociétés, qu’on vive à Halifax, Paris ou Berlin!

Et ça marche!

Pendant une heure, je regarde ces jeunes avec délectation! Eux qui étaient gênés de répondre à mes questions en entrant en classe, se lâchent en chantant Bella Bella; ils parlent avec passion de leurs artistes favoris, de leurs chansons préférées. Les élèves qu’il fallait reprendre à la récréation parce qu’elles parlaient anglais entre elles, refilent maintenant leurs chansons françaises aux copines. Dans le contexte, avouez que c’est un tour de force.

Je demande à Gabrielle si la direction de l’école ou le Conseil scolaire acadien provincial (qui gère les écoles acadiennes et les programmes scolaires) y ont trouvé à redire? Non, m’explique-t-elle, en ajoutant: “Si les parents se plaignaient, ce serait sans doute une autre affaire, mais c’est tout le contraire.” Apparemment, durant les rencontres avec les parents d’élèves, nombreux sont ceux qui disent que ça leur fait plaisir que leurs enfants écoutent de la musique française, certains expliquent même qu’ils aiment maintenant préparer le repas du soir ensemble en dansant au son de Jacobus, Denis Richard ou… Maître Gims.

Fierté acadienne

À la fin de la classe, une élève demande à Gabrielle de jouer sa chanson favorite, “Acadie de mon cœur”, du groupe Les Méchants Maquereaux, “s’il vous plaît, Madame!”. Et prenant le drapeau acadien plié à côté d’elle sur une étagère, cette jeune fille qui, semble-t-il, avait bien du mal à s’exprimer en début d’année, se met spontanément à chanter et à danser sa fierté et son appartenance. Émouvant!

Demain, les élèves reprendront le cour normal de français: la grammaire, la littérature, la lecture et tout et tout. Mais pendant au moins une heure, chaque semaine, grâce à Madame Gabrielle, ils découvrent que le français qu’ils apprennent est plus qu’une langue pour l’école: il leur permet de faire le lien avec le passé de leurs grands-parents mais aussi de s’épanouir, là maintenant, dans l’Acadie d’aujourd’hui.

 

Pomquet, Nouvelle-Écosse

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l'enseignement du français à Pomquet, en Acadie
Françoise Enguehard

Native de Saint-Pierre et Miquelon, Françoise est établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis plus de quarante ans. Journaliste (anciennement à Radio-Canada, aujourd’hui chroniqueuse pour l’Acadie Nouvelle) , auteure reconnue, bénévole de la communauté francophone de l’Atlantique (Présidente de la Société Nationale de l’Acadie de 2006 à 2012 et de la Fondation Nationale de l’Acadie depuis 2014), elle connaît intimement la région de l’Heure de l’Est, ses gens et les défis qu’ils relèvent au quotidien. Femme d’affaires, elle dirige VIVAT Communications, une firme spécialisée dans la traduction et les communications.

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